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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 142

Le mardi 26 septembre 2023
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente


LE SÉNAT

Le mardi 26 septembre 2023

La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.

Prière.

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le Jour des Franco-Ontariens et des Franco-Ontariennes

L’honorable Lucie Moncion : Honorables sénateurs, hier, le 25 septembre, était le Jour des Franco-Ontariennes et Franco-Ontariens, une occasion qui nous permet de reconnaître et de célébrer notre langue, notre culture et notre diversité.

Les francophones de l’Ontario ont durant de longues années été traités avec mépris par les gouvernements de la province, bien qu’ils aient largement contribué à son essor économique. On se souvient du Règlement 17, adopté en 1912, qui interdisait l’usage du français en tant que langue d’enseignement.

À travers le temps, ce mépris se transforme et mène à des changements importants pour les francophones de l’Ontario. En 1968, sous le leadership du premier ministre conservateur John Robarts, l’Assemblée législative de l’Ontario adopte la Loi sur l’administration des écoles (loi 140) et la Loi sur les écoles secondaires et les conseils scolaires (loi 141), qui permettent la création d’un réseau scolaire de langue française.

Puis, un jalon est franchi quant à la reconnaissance des droits des francophones de l’Ontario lorsque Bernard Grandmaître, ministre des Affaires francophones du gouvernement libéral de David Peterson, introduit en 1986 la Loi sur les services en français qui entre en vigueur en novembre 1989.

Cette loi reconnaît le rôle historique et honorable de la langue française et son statut de langue officielle au Canada devant les tribunaux, en éducation et dans les institutions de la législature et du gouvernement de la province. Elle reconnaît également l’apport du patrimoine culturel de la population francophone enrichi par sa diversité et par un désir de le sauvegarder pour les générations à venir.

En juin 2001, le gouvernement de l’Ontario reconnaît le drapeau franco-ontarien comme symbole de solidarité et d’engagement irrévocable dans l’environnement économique et politique de la province. En avril 2010, il reconnaît le 25 septembre comme journée officielle des Franco-Ontariennes et Franco-Ontariens, marquant ainsi l’acceptation des droits linguistiques et de l’identité culturelle de la communauté minoritaire.

Enfin, le 2 mars 2017, la chanson Notre place devient l’hymne officiel des francophones de l’Ontario à la suite d’une motion présentée par le député du comté de Glengarry—Prescott—Russell, Grant Crack. Cette chanson inclusive invite tous les francophones de l’Ontario, peu importe l’endroit où ils vivent ou d’où ils viennent, à ne plus avoir la langue dans leur poche, à mettre les accents là où il le faut, et à chanter leur fierté.

À travers plus de 100 ans d’histoire, de persévérance, d’effort soutenu et de solidarité collective, les Franco-Ontariennes et Franco-Ontariens se sont affranchis et occupent désormais une place de choix dans la grande toile qu’est l’Ontario.

Par cette déclaration, je veux reconnaître toutes les personnes qui, au cours des années, se sont battues et se battent encore pour la reconnaissance des droits des francophones en Ontario.

C’est grâce à eux que je peux assumer et clamer haut et fort : « Je suis franco-ontarienne et fière de l’être. » Merci.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Hommage aux peuples autochtones

L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, je remercie le Groupe progressiste du Sénat de m’avoir laissé son temps de parole aujourd’hui afin que je puisse rendre hommage aux peuples autochtones en prévision de ce week-end.

Dans son ouvrage Resilient: The Portraiture of Wayne Simpson, l’auteur écrit ceci :

Ne cédez jamais à la pression d’être « normal ». La normalité est surfaite [...] Restez vous-mêmes et soyez assez forts pour ne pas vous soucier de ce que l’on pense de vous. Certains jours sont plus difficiles que d’autres, mais cela en vaut toujours la peine. Soyez audacieux. Ayez du chien. Soyez décomplexés.

« Soyez audacieux. » Je pensais autrefois être spéciale. J’avais le sentiment intime que j’avais de la valeur aux yeux du Créateur. J’étais chez nous, habitée par l’histoire de mon peuple : les récits de mes ancêtres vivant leur vie, à leur époque et à leur manière.

Des années plus tard, j’ai souvent réfléchi au fait que je m’identifiais à des mots comme « pute », « ivrogne », « squaw », des mots que j’ai entendus tout au long de mon existence. Le fait que je sois Crie avait quelque chose d’impur.

En permettant aux autres — même son propre peuple — de définir qui on est, on renonce au plus grand pouvoir qui soit. Non.

« Ayez du chien. » En cri, cela signifie faire ce qui donne de la force. Vous êtes braves. Vous avez poursuivi vos buts malgré les limites imposées par les autres.

Vous avez trouvé votre voie. Vous savez clairement pourquoi vous faites ce que vous faites.

Vous avez de bons amis. Vous êtes solidaires contre vents et marées.

Votre cœur déborde. Vous avez surmonté l’adversité, ce qui vous a rendus plus forts.

Les gens vous admirent. Votre audace et votre courage les inspirent. Ils vous font confiance. Moi aussi.

Vous êtes inarrêtables. Vous savez qui vous êtes, où vous allez et comment vous y rendre.

Il est dans votre nature de prendre des risques. Vous prenez part à des conversations difficiles, vous vous renseignez sur ce qui nous touche et vous vous battez pour notre peuple.

Vous ne doutez pas de vous-mêmes. Vos talents sont infinis; tout semble possible.

Vous cernez vos faiblesses et vous avez la motivation de les surmonter.

« Soyez décomplexés. » Cela signifie s’accepter soi-même sans avoir besoin d’une validation extérieure. Nous devons exprimer qui nous sommes sans craindre d’être jugés.

Ce sentiment d’individualité est le pouvoir des etinewak — le peuple — et des esquiwak — les femmes. C’est ce que nous sommes.

Comment remercier ceux qui nous prennent par la main et nous entraînent vers le haut lorsque nous sommes au plus bas? C’est ce que vous avez fait pour moi et pour d’innombrables personnes. Maintenant, nous célébrons notre retour à notre histoire. Kinanâskomitin.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune du lieutenant-général Eric Kenny, commandant de l’Aviation royale canadienne, qui est accompagné par d’autres membres de l’Aviation royale canadienne. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Wallin.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La Journée de la force aérienne sur la Colline

L’honorable Pamela Wallin : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour souligner la Journée de la force aérienne sur la Colline. Je vous invite tous à vous joindre à nous ce soir pour rendre hommage aux membres de l’Aviation royale canadienne, anciens et actuels, et les remercier des services qu’ils ont rendus à notre pays, ainsi que des sacrifices auxquels ils ont consenti.

Je suis honorée de parrainer cet événement, et je remercie l’ancien sénateur Joe Day de l’avoir fait pendant de nombreuses années avant moi.

Nous avons l’occasion aujourd’hui de saluer publiquement les aviateurs du Canada et d’exprimer notre gratitude aux pilotes et au personnel au sol qui leur permet de voler en toute sécurité.

À titre d’ancienne colonelle honoraire de l’Aviation royale canadienne, j’ai volé jusqu’à Alert et aux déserts afghans. J’ai aussi survolé les océans Atlantique et Pacifique lors d’opérations de recherche et sauvetage, ainsi que la Colline du Parlement avec les Snowbirds. Je connais donc bien le travail des aviateurs, qui consiste à protéger notre espace aérien et notre territoire grâce aux activités de surveillance, aux opérations de sauvetage et aux missions de combat.

L’Aviation royale canadienne a joué un rôle crucial lors de la Seconde Guerre mondiale, mais elle a connu son âge d’or durant la Guerre froide alors que ses escadrons de combat se trouvaient au front. On a supprimé l’adjectif « royale » de son appellation en 1968, avant de le réintégrer en 2011, à bon droit. Ses membres continueront de servir la nation et de connaître des réussites.

L’Association de l’Aviation royale canadienne, qui organise l’événement, a été créée en 1948. Elle suit le principe directeur suivant :

L’association jurera loyauté au souverain régnant et défendra les principes d’un gouvernement démocratique et ordonné, représentera la fierté nationale et l’esprit de fraternité, et entretiendra un climat de grande camaraderie parmi tous ceux qui ont servi dans l’aviation militaire ou civile.

Nous partageons ces valeurs ainsi qu’une grande fierté envers l’Aviation royale canadienne parce que ses membres incarnent les valeurs que notre pays a défendues au cours de son histoire.

(1410)

Comme la Présidente l’a mentionné, nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui à la tribune le lieutenant-général Eric Kenny, commandant de l’Aviation royale canadienne, ainsi que d’autres membres de l’Aviation royale canadienne, et nous sommes particulièrement honorés de souligner la présence des trois lauréats du prix spécial du commandant de l’Aviation royale canadienne, soit le caporal-chef Derek Rooney, la caporale-chef Marie-Claude Beaulieu et l’aviateur Simon Gauthier. Félicitations!

J’espère voir bon nombre de mes collègues ce soir, à 17 heures, à l’édifice de la Bravoure, où nous célébrerons la contribution des membres de l’aviation canadienne. À travers les embûches jusqu’aux étoiles. Merci.

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Janice Mae Scott, la sœur de la sénatrice Busson, et de Shari Lee Brooks, une invitée de la sénatrice Busson.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le décès de l’agent Rick O’Brien

L’honorable Bev Busson : Honorables sénateurs, j’ai le cœur brisé de devoir m’adresser à vous une fois de plus au sujet du meurtre d’un autre agent de police. Vendredi dernier, le 22 septembre 2023, le détachement de Ridge Meadows de la GRC exécutait un mandat de perquisition à Coquitlam, en Colombie-Britannique, quand plusieurs coups de feu ont été tirés. Deux agents de la GRC ont été blessés et devraient se rétablir complètement sur le plan physique, quoique les blessures émotionnelles prennent souvent beaucoup plus de temps à guérir.

L’agent Rick O’Brien est décédé sur place. Il avait 51 ans. Son épouse Nicole et lui avaient six enfants qui faisaient leur fierté. L’agent O’Brien venait de fêter son septième anniversaire au sein de la GRC. Sa carrière a été exemplaire. Pour citer le responsable de son détachement : « Il aimait faire des visites dans les écoles, faire des présentations et participer à la vie communautaire en soutenant des campagnes de collecte d’aliments et des événements sportifs. »

L’agent Rick O’Brien était aussi un héros décoré. Avec six autres agents, il a réussi à interrompre une violation de domicile avec violence, ce qui a permis de sauver quatre adultes et un jeune enfant, en plus d’arrêter quatre suspects armés.

Pour cet exploit, il a reçu la mention élogieuse du commandant divisionnaire ainsi qu’une reconnaissance de bravoure de la Colombie-Britannique.

Cette tragédie nous touche tous profondément. Malheureusement, la cérémonie annuelle en l’honneur des disparus en Colombie-Britannique s’est tenue dimanche dernier à Victoria, en même temps qu’une cérémonie nationale à Ottawa, deux jours seulement après sa mort. Nous avons tous à peine le temps de nous remettre d’une tragédie qu’une autre nous tombe dessus.

Lorsque j’ai appris la nouvelle, j’ai été saisie à la fois par le désespoir et la colère. C’est un meurtre insensé. La vie est précieuse. La vie de Rick O’Brien était précieuse. La vie des représentants des forces de l’ordre peut leur être enlevée abruptement à tout moment. En tant que Canadiens, nous ne devons pas oublier cette dure réalité à laquelle les policiers sont confrontés tous les jours.

La vie de Rick O’Brien était importante pour tous ceux qui le connaissaient. Il était un mari, un père, un fils et un véritable héros parmi nous. Malheureusement, il semble qu’une telle tragédie soit nécessaire pour nous rappeler le sacrifice que font les policiers tous les jours pour assurer la sécurité de la population. Je peux vous dire qu’il y a de nombreuses personnes comme Rick O’Brien — ce qui est merveilleux, mais oh combien tragique.

Son héritage sera transmis par sa famille, ses amis et ses collègues qui ont servi à ses côtés, en plus d’occuper une place dans le cœur de tous les Canadiens. Au nom du Sénat du Canada, de la Colombie-Britannique et de tous les Canadiens, j’exprime mes plus sincères condoléances à son épouse, à sa famille et à tous ceux qui ont eu la chance de le côtoyer. Comme on le dit à la GRC : « Reposez en paix, agent O’Brien. Nous prenons la relève. »

Merci. Meegwetch.

[Français]

Le Jour commémoratif national des policiers et des agents de la paix

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la cérémonie qui a eu lieu dimanche dernier sur la Colline du Parlement, où des policiers de partout au pays sont venus pour rendre hommage à leurs collègues morts en devoir au cours de la dernière année.

Malheureusement, je ne pouvais assister en personne à cette cérémonie, mais je peux vous dire que toutes mes pensées accompagnaient mes confrères des différents corps de police, et principalement ceux de la Sûreté du Québec, où j’ai œuvré pendant 39 ans.

L’événement de dimanche revêt cette année un caractère plutôt significatif de la dégradation de notre société, à laquelle nous assistons quasiment les bras croisés. Cette dégradation est attribuable à la multiplication des cas de maladie mentale grave devant laquelle les autorités, autant fédérales, provinciales que médicales, sont incapables d’accoucher de mesures efficaces et concrètes.

Onze policiers et policières ont été tués en devoir dans la dernière année. C’est inacceptable.

Toutefois, en plus de défiler une fois par année ici, à Ottawa, au‑delà des pétitions signées par des milliers de citoyens, au-delà des témoignages de familles de policiers, et même au-delà des demandes d’aide faites publiquement par des familles de gens devenus dangereux à cause de la maladie, que faisons-nous?

Quand je pose cette question, tout ce qu’on me répond c’est qu’il y a des discussions en cours pour trouver des solutions. Cependant, pendant combien d’années va-t-on discuter? Combien d’autres policiers et citoyens assassinés faudra-t-il pour comprendre qu’il faut mettre fin à la remise en société des personnes agressives ayant un diagnostic de maladie mentale grave?

Ce n’est pas au moyen d’une décennie de travaux et de consultations qu’il faut protéger nos policiers et les citoyens du pays de ces potentiels assassins qu’on remet en liberté en croyant qu’ils vont prendre leurs médicaments pour se contrôler eux‑mêmes.

Parmi les 11 policiers honorés dimanche, il y avait la sergente Maureen Breau de la Sûreté du Québec, une mère de famille, conjointe d’un autre policier, qui a été tuée en mars dernier à Louiseville, en tentant de maîtriser un fou furieux armé d’un sabre. L’individu qui a été abattu par des policiers avait déjà agressé un psychiatre en 2018 et était diagnostiqué comme étant à risques élevés depuis 2014. Que faisait-il en liberté?

Je soulève cette question parce que pas plus tard que le week-end dernier, un autre individu dérangé par la maladie mentale a été intercepté alors qu’il se préparait à aller tuer des policiers bien identifiés du poste de la Sûreté du Québec à Louiseville, où il avait déjà commis — écoutez-moi bien — une attaque à la hache en 2022!

La naïveté politique, médicale ou judiciaire devrait avoir des limites. De mon côté, les limites sont même dépassées.

Donc, sans réserve, j’appuierai toutes les démarches de mes collègues policiers, québécois et canadiens, pour faire changer les choses.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

La Colombie-Britannique—L’agent de la GRC décédé dans l’exercice de ses fonctions

Minute de silence

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, nous avons tous été profondément attristés et choqués par la récente nouvelle de la mort d’un policier en service. Le gendarme Rick O’Brien de la Gendarmerie royale du Canada a été tué, et deux autres policiers ont été blessés à Coquitlam, en Colombie-Britannique le vendredi 22 septembre dernier.

Nous exprimons nos condoléances à la famille, aux amis et aux collègues policiers du gendarme O’Brien, ainsi que nos espoirs de rétablissement complet pour les blessés. Je vous invite à vous lever pour observer une minute de silence.

(Les honorables sénateurs observent une minute de silence.)


[Français]

AFFAIRES COURANTES

La Loi sur le casier judiciaire

Projet de loi modificatif—Présentation du seizième rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles

L’honorable Brent Cotter, président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, présente le rapport suivant :

Le mardi 26 septembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a l’honneur de présenter son

SEIZIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement, a, conformément à l’ordre de renvoi du 3 novembre 2022, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport avec les modifications suivantes :

1.Article 11, pages 6 et 7 :

a) À la page 6 :

(i) remplacer la ligne 28 par ce qui suit :

« pas requise :

a) aux fins d’application des articles 734.5 et »,

(ii) remplacer la ligne 32 par ce qui suit :

« pour une infraction;

b) pour révéler, dans les cas prévus par règlement, l’existence du dossier ou du relevé à un service de police dans le cas où ce dernier estime que la communication sert l’administration de la justice ou est souhaitable pour la sûreté ou sécurité du Canada ou d’un État allié ou associé au Canada. »;

b) à la page 7, supprimer les lignes 25 à 30.

2.Article 21, page 10 : Ajouter, après la ligne 14, ce qui suit :

« c.12) prévoir les cas pour l’application de l’alinéa 6.1(3)b); ».

3.Article 24, page 11 : Remplacer la ligne 4 par ce qui suit :

« (paragraphe 6.3(2) et articles 7 et 7.2) ».

4.Article 25, page 11 : Remplacer la ligne 8 par ce qui suit :

« (paragraphe 6.3(2) et articles 7 et 7.2) ».

Respectueusement soumis,

Le président,

BRENT COTTER

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?

(Sur la motion du sénateur Cotter, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

(1420)

[Traduction]

Le Sénat

Préavis de motion concernant la période des questions pour le reste de la présente session

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle, pour le reste de la session actuelle :

1.lors de la période des questions avec tout ministre de la Couronne tel que prévu par l’ordre adopté par le Sénat le 7 décembre 2021, en plus des temps de parole prévus dans cet ordre, les sénateurs disposent de 45 secondes pour poser une question supplémentaire et les ministres disposent de 45 secondes pour y répondre;

2.lors de toute autre période des questions, les questions principales et les réponses soient limitées à une minute chacune, suivies d’un maximum d’une question supplémentaire par question principale, ces questions et réponses supplémentaires étant limitées à 30 secondes chacune.

Projet de loi sur le cadre régissant les relations entre le Canada et Taiwan

Première lecture

L’honorable Michael L. MacDonald dépose le projet de loi S-277, Loi concernant un cadre visant à renforcer les relations entre le Canada et Taiwan.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur MacDonald, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après‑demain.)

[Français]

L’Assemblée parlementaire de la Francophonie

La réunion du Bureau, tenue du 28 janvier au 2 février 2023—Dépôt du rapport

L’honorable Éric Forest : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie concernant la réunion du Bureau de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, tenue à Papeete, en Polynésie française, du 28 janvier au 2 février 2023.

La réunion de la Commission politique de l’APF et du Groupe de travail sur la réforme des statuts de l’APF, tenue du 17 au 20 avril 2023—Dépôt du rapport

L’honorable Éric Forest : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie concernant la réunion de la Commission politique de l’APF et du Groupe de travail sur la réforme des statuts de l’APF, tenue à Paris, en France, du 17 au 20 avril 2023.

La mission parlementaire aux Nations unies, les 14 et 15 mars 2023—Dépôt du rapport

L’honorable Éric Forest : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie concernant la mission parlementaire aux Nations unies, tenue à New York, aux États-Unis, les 14 et 15 mars 2023.

[Traduction]

Peuples autochtones

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à reporter la date du dépôt de son rapport final sur l’étude des obligations découlant des traités et les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis

L’honorable Brian Francis : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant l’ordre du Sénat adopté le jeudi 3 mars 2022, la date du rapport final du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones concernant son étude sur les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones, soit reportée du 31 décembre 2023 au 1er septembre 2025;

Que le comité soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat ses rapports portant sur cette étude, si le Sénat ne siège pas à ce moment-là, et que les rapports soient réputés avoir été déposés au Sénat.

Les préoccupations continues concernant l’agriculture canadienne, les milieux humides et la réaffectation des terres forestières

Préavis d’interpellation

L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :

J’attirerai l’attention du Sénat sur les préoccupations que continuent de susciter la réaffectation des terres agricoles, des terres humides et des terres forestières du Canada, ainsi que la possible insécurité alimentaire, économique et sociale découlant de la capacité de production réduite de produits agricoles, de pâturages, de produits forestiers et d’aliments, tant à l’échelle nationale qu’internationale.

[Français]

Les travaux du Sénat

Son Honneur la Présidente : Conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 7 décembre 2021, la période des questions commencera à 17 h.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants au Canada

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Moodie, appuyée par l’honorable sénateur Cormier, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada.

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Je prends la parole pour appuyer en deuxième lecture le projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada.

Ma collègue Rosemary Moodie a fait un portrait exhaustif de l’histoire des services de garde au pays et des principes contenus dans le projet de loi C-35, notamment pour que les peuples autochtones définissent eux-mêmes et dirigent leurs propres services à la petite enfance.

Je ne répéterai pas ce que la sénatrice Moodie a très bien dit. Je vais plutôt aborder quelques défis d’implantation de ce programme, à la lumière de l’expérience québécoise de places en garderies à 8,85 $ par jour.

D’emblée, il est clair que ce projet de loi-cadre cherche essentiellement à pérenniser l’ambitieuse initiative fédérale de financement de services de garde dans les provinces et les territoires. La ministre Karina Gould l’a dit ouvertement durant l’étude en comité à la Chambre des communes, le 10 mars dernier, et je la cite :

Le projet de loi C-35 vise à guider le gouvernement fédéral de telle sorte que les prochains gouvernements […] soient guidés par ces principes et objectifs quand ils négocieront avec les provinces et les territoires.

C’est ce qui explique que ce projet de loi soit court et se limite à l’énonciation de principes — le financement à long terme, notamment —, car tous les détails se trouvent dans les centaines de pages d’ententes bilatérales entre Ottawa et les provinces. Celle de l’Ontario fait 140 pages et celles du Québec, 47. Les ententes comprennent les montants, la formule de financement, les règles particulières et la reddition de comptes.

(1430)

Je souligne par ailleurs qu’une entente asymétrique a été signée avec le Québec. Dans cette entente, on réaffirme la compétence exclusive du Québec en matière de garde d’enfants et on précise que le Québec aura toute la latitude nécessaire pour consacrer les sommes reçues à l’amélioration de son réseau et à la création de nouvelles places.

Dans le projet de loi C-35, deux passages m’ont interpellée. Le premier est l’alinéa 7(1)b), qui indique que les investissements fédéraux devraient avoir pour but « d’aider les familles de tous les niveaux de revenu, y compris celles ayant un faible revenu [...] ».

Aider les familles à faible revenu est sans doute l’objectif le plus difficile à réaliser dans un contexte de programme universel de services de garde. L’expérience du Québec nous le démontre effectivement. En effet, c’était un des deux grands buts énoncés par la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance du Québec, adoptée il y a 25 ans.

Malheureusement, les résultats ne sont pas au rendez-vous. En rendant le service gratuit pour les plus pauvres, l’idée était d’inciter ces familles à inscrire leurs enfants dans les centres de la petite enfance que l’on appelle les CPE, qui sont les services de garde à but non lucratif de meilleure qualité. L’objectif était que les enfants bénéficient d’une stimulation précoce et d’une meilleure égalité des chances dans leur parcours scolaire.

Toutefois, encore faut-il que ces familles s’inscrivent et qu’elles aient des places. Or, on sait que 36 % des enfants québécois de moins de 4 ans ne fréquentent pas un service de garde reconnu. Sophie Mathieu, spécialiste principale des programmes à l’Institut Vanier de la famille, a expliqué au comité de la Chambre des communes que l’on sait très peu de choses sur les barrières systémiques, économiques et culturelles qui peuvent freiner l’accès des familles à un service de garde.

Dans son rapport 2020-2021, le vérificateur général du Québec a donné des exemples frappants de ces disparités. Dans les quartiers défavorisés, notamment celui de Montréal-Nord, beaucoup plus de places sont disponibles dans les garderies privées que dans les CPE. Alors que dans le quartier riche de Westmount, c’est l’inverse. Résultat : les familles riches ont davantage accès aux CPE de meilleure qualité, à 8,85 $ par jour, que les familles à revenus faibles ou modestes, qui ont davantage accès aux garderies commerciales, de moins bonne qualité. Les enfants vivant dans une famille dont le revenu familial ne dépasse pas 50 000 $ ont moins de chance d’occuper une place en CPE. Cela me dérange profondément.

[Traduction]

On sait que les CPE, qui sont sans but lucratif, et les garderies commerciales n’offrent pas la même qualité de services, et cet écart devrait faire réfléchir la province. Comme il n’avait pas les moyens de répondre pleinement à la demande, le gouvernement du Québec s’est tourné vers le secteur privé pour accroître le nombre de places en garderies, au moyen de subventions directes ou de crédits d’impôt. Il est plus que temps de relever les normes de qualité et de les faire respecter.

Le Québec a progressivement tenté d’améliorer les données recueillies et de rendre son système de gestion des listes d’attente plus juste. Actuellement, il y a une seule liste d’attente régulièrement mise à jour pour l’ensemble des CPE de la province. En ce moment, par exemple, nous savons que 37 260 enfants sont en attente d’une place en garderie. C’est 3 700 enfants de plus en un an, malgré l’ajout de plus de 20 000 places subventionnées au cours des deux dernières années. Toutefois, certains remettent même en question l’exactitude de la liste.

Malgré des investissements importants, il manque de places en garderies pour les mères qui souhaitent retourner au travail. La réalité est que ce sont les familles les moins nanties qui sont les plus désavantagées. La pénurie de main-d’œuvre dans le secteur des services de garde d’enfants ne fait qu’aggraver la situation.

Lorsque je présidais le Conseil du statut de la femme du Québec, j’ai passé beaucoup de temps à réfléchir à ce modèle de services de garde soi-disant universel. Il n’y a pas de solution simple.

[Français]

Une petite anecdote personnelle. J’ai bénéficié, il y a 25 ans, soit au tout début du programme de garderies, de places en CPE à 5 $ par jour pour mes deux enfants. J’ai été très privilégiée. Il s’agissait d’une garderie dans mon milieu de travail, à Radio-Canada, et il y avait toujours une éducatrice de garde le soir, pour les employés aux horaires atypiques. C’était mon cas, car je couvrais les nouvelles. J’ai simplement mis mon nom sur une liste d’attente, au bon moment, le système étant purement basé sur le principe de premier arrivé, premier servi.

Ce CPE m’a donné sept ans de tranquillité d’esprit, où j’ai pu constater l’apprentissage de mes enfants, le développement de leurs goûts grâce aux lunchs santé. Par contre, déjà à ce moment-là, il y avait de longues listes d’attente, et certains de mes collègues, aux revenus plus modestes, n’avaient pas ma chance. Le modèle québécois n’est donc pas équitable. C’est sans doute une leçon pour le Canada.

Le même dilemme va se poser dans les autres provinces. Je suis d’avis que tant qu’il n’y aura pas suffisamment de places pour tous, dans tous les milieux et tous les quartiers, le principe d’une universalité qui ne tient pas compte des revenus est inéquitable. À mon avis, il est essentiel d’accorder la priorité aux familles moins fortunées. En ce moment, le système accordera une place en CPE à 8,85 $ par jour à une médecin qui gagne 300 000 $ si elle s’est inscrite avant une préposée aux bénéficiaires qui gagne six ou sept fois moins.

En 2015, le gouvernement du Québec a aboli le tarif unique et a exigé des tarifs plus élevés aux parents plus fortunés, mais cette réforme a été abandonnée à la faveur d’une campagne électorale. Bref, on est revenu à la case départ.

Le cas du Québec montre bien les défis et les ajustements en cours de route qui seront assurément nécessaires ailleurs au Canada. L’iniquité d’accès aux places à contribution réduite a heureusement été reconnue par l’État québécois et il tente de l’amoindrir. Une modification à la loi il y a deux ans oblige les services de garde subventionnés à prioriser les enfants en situation de précarité socioéconomique.

Malgré ces enjeux, je rappelle que le modèle québécois a contribué à des avancées notables dans la société québécoise, particulièrement pour la classe moyenne.

En 2022, 88 % des femmes québécoises âgées de 25 à 54 ans étaient sur le marché du travail, comparé à une moyenne de 84 % dans les autres provinces. Le retour au travail des mères de jeunes enfants s’est accéléré au fil des ans, grâce notamment aux services de garde de qualité à coûts réduits. En 25 ans, le nombre de places en garderies est passé de 79 000 à 307 000, dont 237 000 places subventionnées. C’est un bond énorme.

Le deuxième point qui m’a interpellée dans le projet de loi est le rapport annuel qui sera exigé du gouvernement fédéral. Ce rapport doit résumer les progrès accomplis dans les systèmes provinciaux et contenir des renseignements relatifs à la qualité, la disponibilité, l’abordabilité, l’accessibilité et le caractère inclusif des services de garde.

Or, les fonctionnaires fédéraux qui ont répondu à nos questions durant la récente séance d’information sur le projet de loi C-35 ont été clairs : ils dépendent des provinces pour obtenir des données probantes, essentielles à une véritable évaluation. Car il ne faut pas seulement savoir combien de places à 10 $ et moins par jour sont créées dans chaque province, mais combien de familles sont sur les listes d’attentes.

Or, il est clair que chaque province a déjà son propre système de liste d’attente, et que certaines n’ont même pas de liste d’attente. Comment évaluer l’efficacité des investissements fédéraux dans ces conditions?

Je terminerai en citant le mémoire du Conseil du statut de la femme du Québec qui relève en novembre 2021 les principales lacunes à corriger dans le modèle québécois. Pour répondre aux besoins de toutes les femmes, les services de garde doivent tenir compte des horaires variables des mères, des femmes au statut migratoire précaire, et des femmes plus pauvres et vulnérables.

Ce sont des enjeux d’équité qui sont sans doute déjà déterminés dans les autres provinces et territoires, mais qui sont difficiles à résoudre. J’espère que l’expérience du Québec pourra profiter aux autres provinces et que les familles canadiennes — en particulier les moins fortunées — pourront pleinement bénéficier du nouveau programme mis en place par le projet de loi C-35.

Je vous remercie.

[Traduction]

Son Honneur la Présidente : Sénatrice Omidvar, avez-vous une question?

L’honorable Ratna Omidvar : Merci sénatrice Miville-Dechêne. Vous avez eu une excellente expérience au Québec puisque vous avez profité de sept années de services de garde sur votre lieu de travail. Peut-être qu’un jour, le Sénat décidera d’offrir une garderie sur place aux jeunes employés et sénateurs.

(1440)

Au début de votre intervention, vous avez soulevé la question de la qualité. Je n’ai pas pu poser la question que j’avais pour la sénatrice Moodie, mais elle aussi a indiqué que le système public de garderies sans but lucratif offre des services de garde de qualité. Nous finançons les soins de santé à même les deniers publics et, partant, le système de santé public. Nous finançons également l’éducation à même les fonds publics et, partant, l’éducation publique.

Dans le projet de loi dont nous sommes saisis, le qualificatif « public » n’apparaît qu’une fois au sujet du rapport annuel, quand il est dit que le rapport annuel doit être rendu public. Pouvez-vous réfléchir à cela? Pensez-vous que c’est une question que chaque province négociera ou a négociée avec le gouvernement fédéral, ou que la notion de garderies publiques sans but lucratif devrait figurer dans ce projet de loi-cadre?

Merci.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est une excellente question, sénatrice Omidvar. Je vais répondre en français, si vous le permettez, car le sujet est plutôt technique.

Je ne crois pas que le gouvernement fédéral ait le pouvoir d’exiger que tous ces investissements aillent dans des garderies publiques sans but lucratif. Même au Québec, où on a dépensé d’importantes sommes, où il y avait un consensus remarquable entre des ministres féministes et dans toute la société civile pour que ce système de garderies à faible coût soit mis sur pied, on a été incapable, sur le plan financier, d’absorber les coûts et d’avoir uniquement des organismes à but non lucratif (OBNL), d’offrir des salaires convenables et bien souvent, de construire des garderies.

C’est pourquoi au Québec, on a fait appel aux garderies privées. Sinon, on n’aurait pas pu satisfaire la demande des nombreuses femmes à la maison qui désiraient avoir une place en garderie. Il y a eu toutes sortes de systèmes. Maintenant, il en reste quatre ou cinq, dont les OBNL et les CPE ou centres de la petite enfance, les garderies subventionnées privées et non subventionnées privées de même que des garderies familiales où une femme garde des enfants. Les garderies familiales ont été extrêmement importantes au Québec. Comme le nombre d’enfants change d’une année à l’autre, les garderies familiales étaient un outil plus souple pour s’adapter à cette variation. Il est plus facile d’ouvrir ou de fermer des garderies familiales que des centres de la petite enfance ou des organismes.

Il est remarquable qu’au Québec, on y soit arrivé. Le gouvernement devait tenir ses promesses, mais n’avait pas suffisamment d’argent pour faire construire les garderies à but non lucratif les meilleures qui soient pour tout le monde. Les études ont démontré que les meilleures garderies sont les CPE à but non lucratif, avec des éducatrices formées et de bons budgets. Ce sont les garderies dont la qualité des soins est la plus élevée.

Maintenant, que peut-on faire devant cette situation plutôt difficile? Il faut des normes plus sévères pour ces garderies privées, qu’elles soient subventionnées ou non, afin de garantir la sécurité de nos enfants.

Son Honneur la Présidente : Je regrette, mais le temps de parole de la sénatrice est écoulé. Désirez-vous demander un peu plus de temps?

La sénatrice Miville-Dechêne : Y a-t-il d’autres questions?

Son Honneur la Présidente : Il en reste une. Le consentement est-il accordé?

Une voix : Non.

Son Honneur la Présidente : Le consentement n’est pas accordé.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Projet de loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et apportant des modifications corrélatives et connexes à d’autres lois

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Downe, appuyée par l’honorable sénatrice Verner, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et apportant des modifications corrélatives et connexes à d’autres lois.

L’honorable Victor Oh : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et apportant des modifications corrélatives et connexes à d’autres lois. L’objectif de ce projet de loi est d’établir un registre public de la propriété effective au Canada dans lequel les sociétés seraient tenues de déclarer de l’information sur leurs propriétaires effectifs, c’est‑à‑dire les gens qui ont la propriété ou le contrôle direct ou indirect d’au moins 25 % des actions d’une société.

Je précise que le projet de loi n’établit pas un registre de la propriété effective. Le Canada en a déjà un, mais il n’est pas public.

Les entreprises constituées en société au titre de la Loi canadienne sur les sociétés par actions doivent tenir un registre de leurs propriétaires effectifs depuis 2019. Les sociétés gèrent ce registre elles-mêmes et les actionnaires ont le droit d’y accéder par voie d’affidavit. Les autorités policières peuvent également le consulter.

Le budget de l’an dernier a apporté des modifications à la Loi canadienne sur les sociétés par actions afin d’exiger des sociétés constituées en vertu d’une loi fédérale qu’elles envoient leurs renseignements tirés du registre à Corporations Canada chaque année et qu’elles mettent à jour cette information dans les 15 jours suivant n’importe quel changement.

Les changements proposés dans le projet de loi C-42 s’appuient sur le cadre existant pour permettre à Corporations Canada de divulguer ces renseignements en tout ou en partie aux organismes d’enquête et au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, ou CANAFE. Les autorités fiscales, les autorités policières et les autres organismes gouvernementaux auront accès à ces renseignements à des fins d’enquête et de contrôle de la conformité. De plus, le public pourra consulter certaines parties du registre.

Chers collègues, la nécessité d’une telle mesure législative est bien documentée. La fameuse fuite des Panama Papers en 2016 a révélé comment les criminels exploitent les échappatoires dans les systèmes canadiens de la propriété effective des sociétés pour se livrer à la corruption. Il ne s’agissait pas de simples allégations, mais bien de preuves documentées qui ont mis en évidence la vulnérabilité de nos systèmes à l’échelle internationale.

Pourtant, ces vulnérabilités étaient bien connues avant ce moment-là et elles ont été signalées à maintes reprises par le Groupe d’action financière, ou GAFI. Le GAFI est un organisme intergouvernemental fondé en 1989 à l’initiative du G7. Ses principaux objectifs sont d’élaborer et de promouvoir des politiques visant à protéger le système financier mondial contre le blanchiment d’argent, le financement des activités terroristes et d’autres menaces connexes. Au fil des ans, l’organisme est devenu un organe mondial essentiel dans l’établissement de normes internationales pour lutter contre ces crimes financiers.

(1450)

Le Groupe d’action financière, le GAFI, surveille les progrès des pays dans la mise en œuvre des mesures qui s’imposent et évalue leur conformité. Leurs recommandations ont une grande influence, car elles servent de normes internationales pour lutter contre le blanchiment d’argent, le financement des activités terroristes ou d’autres menaces connexes à l’intégrité du système financier mondial. De nombreux pays, dont le Canada, harmonisent volontairement leurs politiques en matière de réglementation financière avec les recommandations du Groupe d’action financière afin de s’assurer de participer à cet effort international coordonné de lutte contre les crimes financiers.

En 2016, le rapport de l’évaluation mutuelle du Groupe d’action financière portant sur les mesures canadiennes de lutte contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme a souligné quatre points concernant la « transparence des personnes morales et des ententes juridiques » au Canada.

En 2021, c’est-à-dire cinq ans plus tard, le rapport de suivi du Groupe d’action financière a indiqué qu’aucun progrès n’avait été réalisé sur ces quatre points. Plus précisément, il n’y avait aucune amélioration officielle de la cote de conformité technique aux recommandations 24 et 25 du Groupe d’action financière, lesquelles sont axées sur la transparence et la propriété effective des entités et des ententes juridiques. Cette lacune n’est pas une simple case que nous avons oublié de cocher. C’est une faille qui représente un risque important pour notre système financier et notre réputation sur la scène internationale.

Permettez-moi de citer ces quatre points du rapport de l’évaluation mutuelle du Groupe d’action financière, et veuillez noter que, même s’il s’agit du rapport publié en 2016, chacun de ces enjeux demeure entier dans le rapport de suivi de 2021.

Point 1 :

Les personnes morales et les ententes juridiques canadiennes courent un risque élevé d’être utilisées à mauvais escient pour [blanchir de l’argent et financer des activités terroristes], et ce risque n’est pas atténué. C’est notamment le cas en ce qui concerne les contrats de prête-nom, qui sont couramment utilisés au Canada et qui constituent de réels obstacles pour les organismes d’application de la loi.

Point 2 :

Les informations de base sur les personnes morales sont accessibles au public, mais les renseignements sur la propriété bénéficiaire sont plus difficiles à obtenir. Certaines informations sont recueillies par les [institutions financières] et, dans une certaine mesure, par des [entreprises et des professions non financières désignées], par le fisc et par les personnes morales elles-mêmes, mais, dans tous les cas, elles ne sont ni vérifiées ni exhaustives. Les [organismes d’application de la loi] disposent des pouvoirs nécessaires pour obtenir ces informations, mais la procédure est longue. L’échange d’informations entre les [organismes d’application de la loi] et l’[Agence du revenu du Canada] est également limité par des exigences juridiques strictes.

Point 3 :

Les autorités n’ont pas suffisamment accès aux informations relatives aux fiducies. Certaines informations sont recueillies par l’Agence du revenu du Canada ainsi que par les [institutions financières] qui fournissent des services financiers, mais ces informations ne sont pas vérifiées, elles ne concernent pas toujours la propriété bénéficiaire et elles sont encore plus difficiles à obtenir que dans le cas des personnes morales.

Point 4 :

[Les organismes d’application de la loi] n’ont réussi à identifier les propriétaires bénéficiaires que dans un petit nombre de cas. Bien que les véhicules juridiques et les fiducies représentent un risque majeur de [blanchiment d’argent] et de [financement du terrorisme] au Canada, les [organismes d’application de la loi] n’enquêtent pas sur de nombreuses affaires dans lesquelles des personnes morales ou des fiducies ont joué un rôle prépondérant, ou qui présentaient des éléments complexes ou des aspects liés à la propriété ou au contrôle étrangers.

Chers collègues, l’urgence pour le Canada d’apporter des améliorations immédiates et décisives est indéniable. Selon un rapport de 2020 du Service canadien du renseignement de sécurité, la valeur annuelle du blanchiment d’argent au Canada se situe entre 45 et 113 milliards de dollars. Il s’agit d’une somme stupéfiante, qui s’explique en partie par le fait que la vulnérabilité de nos systèmes n’est un secret pour personne.

À l’international, le Canada est connu pour ses lois laxistes en matière de prévention du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme, ce qui a nui à notre réputation auprès d’autres pays. Le projet de loi C-42 est absolument nécessaire pour continuer à corriger cette perception.

Le projet de loi C-42 est l’un des rares cas où nous nous retrouvons avec un projet de loi du gouvernement qui fait écho aux principes fondamentaux du Parti conservateur du Canada, y compris un engagement envers la transparence économique, la bonne gouvernance et la primauté du droit. Ce projet de loi s’aligne également sur les efforts déployés par notre parti au cours des dernières années afin de renforcer la résilience du Canada face au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme.

Sous le leadership de Stephen Harper, le gouvernement conservateur précédent avait pris des mesures concrètes pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Nous avons renforcé la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, et élargi les pouvoirs d’enquête de l’Agence des services frontaliers du Canada et du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada.

En 2021, le Parti conservateur du Canada s’est engagé à créer un registre fédéral de la propriété effective concernant la propriété résidentielle. Nous avons aussi promis d’apporter des changements considérables à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Le député conservateur Adam Chambers a récemment présenté un projet de loi d’initiative parlementaire visant à mettre en œuvre cet engagement, ce qui démontre notre détermination dans ce dossier. Le projet de loi C-42 est un important pas de plus vers l’atteinte de ces objectifs.

Même si ce projet de loi cherche à s’attaquer à des dossiers importants, il est essentiel de comprendre que son succès n’est pas garanti. Il est lié à son application.

Environ 500 000 sociétés constituées en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions relèvent de la compétence du gouvernement fédéral, ce qui ne représente que 15 % des entreprises canadiennes. La grande majorité des sociétés au Canada sont constituées en vertu d’une loi provinciale ou territoriale, et non de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Il est donc crucial, pour que cette initiative soit un succès, que les provinces et les territoires adoptent aussi cette mesure. Pour être efficace, le registre des sociétés doit être élargi et adopté par les provinces et les territoires.

(1500)

En l’absence d’un registre robuste et public de la propriété effective des grandes sociétés, le Canada reste vulnérable à toute une série de délits financiers qui menacent notre stabilité économique et notre sécurité nationale. Les structures opaques des sociétés sont utiles pour voiler le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme ainsi que la fraude et l’évasion fiscales.

À l’heure actuelle, il est relativement facile pour des personnes ou des entités de se cacher derrière des sociétés fictives, des actionnaires nommés ou des fiducies pour mener des activités illicites dans l’anonymat. Cette clandestinité peut faire de notre pays un terrain de jeu pour les criminels et les individus corrompus, qui peuvent alors exploiter nos systèmes financiers et nos marchés immobiliers, entre autres secteurs.

Ce sont les travailleurs canadiens qui portent le lourd fardeau économique de ce problème, que ce soit par la hausse des prix du logement ou la perte de recettes fiscales qui auraient pu être investies dans les services publics. L’absence d’un registre transparent crée des failles qui compliquent la tâche aux autorités quand vient le temps de suivre ces activités criminelles, affaiblissant ainsi notre capacité à appliquer efficacement les lois existantes.

Le projet de loi C-42 s’inscrit dans une tendance mondiale croissante en faveur d’une transparence et d’une responsabilité accrues des entreprises. Divers pays ont déjà procédé à des réformes, notamment le Royaume-Uni, qui tient un registre public des personnes exerçant un contrôle important, et l’Union européenne, avec sa cinquième directive anti-blanchiment. Les États-Unis s’engagent également dans cette voie avec la loi sur la transparence des entreprises, promulguée dans le cadre de la loi sur l’autorisation de la défense nationale pour l’exercice financier de 2021. Selon Transparence internationale, 108 pays dans le monde se sont engagés à mettre en place des registres accessibles au public.

En outre, le Fonds monétaire international, ou FMI, envisage d’adopter des règlements qui exigeront que les pays auxquels il accorde des prêts tiennent des registres de propriété effective. Des organisations telles que Transparence internationale et des groupes de réflexion comme l’Institut C.D. Howe sont absolument favorables à l’existence d’un registre central de propriété effective accessible au public. Ajoutons qu’en 2019, en Colombie-Britannique, la Commission Cullen a recommandé qu’un registre pancanadien de propriété effective des entreprises soit mis en place avant la fin de 2023.

Les experts s’accordent largement pour dire que c’est la voie à suivre pour le Canada. Toutefois, un comité doit encore se pencher sur plusieurs questions relatives à la protection de la vie privée et à la sécurité personnelle. Dans un mémoire présenté au Comité permanent de l’industrie et de la technologie de la Chambre des communes, l’Association du Barreau canadien a fait remarquer ce qui suit :

[...] nous craignons que le projet de loi C-42, dans son état actuel, ne vienne porter une atteinte disproportionnée aux droits à la vie privée et à la sécurité personnelle protégés par la Charte canadienne des droits et libertés.

Les gens ont des raisons légitimes, qu’elles soient personnelles ou commerciales, de vouloir garder leurs renseignements sensibles de propriétaire effectif confidentiels. De plus, le Canada doit aussi tenir compte du fait que les entreprises se pencheront avec attention sur les exigences de publication avant de choisir leur structure juridique et le lieu où elles s’établiront.

La lettre se poursuit ainsi :

Certes, la divulgation publique d’information additionnelle sur les entreprises pourrait constituer une mesure dissuasive contre la corruption et le blanchiment d’argent et nuire aux tentatives des fraudeurs d’utiliser de fausses structures d’entreprise à des fins criminelles. Cependant, elle pourrait aussi mener à une hausse des vols d’identité (comme on l’a récemment constaté avec les stratagèmes frauduleux pour obtenir l’aide gouvernementale liée à la COVID-19) et nuire à l’objectif antifraude du registre. Nous exhortons le gouvernement à étudier avec soin le projet de loi C-42 pour s’assurer qu’il permette d’atteindre l’objectif souhaité.

Vous conviendrez, j’en suis certain, que l’autre endroit n’a pas répondu à ces sérieuses préoccupations. J’encourage le comité chargé de l’étude du projet de loi d’examiner attentivement la question et toute autre source de préoccupation pour s’assurer que le projet de loi est bien conçu et qu’il atteint ses importants objectifs.

Chers collègues, le Parti conservateur a beau être dans l’opposition, il ne s’oppose pas aux bonnes mesures législatives. C’est l’une des rares fois où nous voyons une telle chose de la part du gouvernement libéral, et nous nous engageons à travailler avec lui dans un esprit de coopération lorsque cela sert l’intérêt national.

Voilà pourquoi nous soutiendrons le projet de loi C-42 à l’étape de la deuxième lecture. Nous avons hâte de l’étudier plus en détail en comité. Merci.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Downe, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie.)

(1510)

Le Sénat

Motion tendant à autoriser les comités mixtes à tenir des réunions hybrides—Ajournement du débat

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 21 septembre 2023, propose :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle, jusqu’à la fin de la journée le 30 juin 2024, tout comité mixte soit autorisé à tenir des réunions hybrides, les dispositions de l’ordre du 10 février 2022 concernant de telles réunions ayant effet;

Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Français]

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Ringuette, appuyée par l’honorable sénateur Ravalia, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-239, Loi modifiant le Code criminel (taux d’intérêt criminel).

(Sur la motion de la sénatrice Petitclerc, le débat est ajourné.)

Projet de loi favorisant un meilleur équilibre entre l’indépendance et la reddition de comptes de la Banque du Canada

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Diane Bellemare propose que le projet de loi S-275, Loi modifiant la Loi sur la Banque du Canada (mandat, gouvernance de la politique monétaire et reddition de comptes), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je tiens d’abord à souligner que les terres sur lesquelles nous sommes rassemblés font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple anishinabe algonquin.

Le 31 août dernier, les premiers ministres de la Colombie-Britannique, de l’Ontario et de Terre-Neuve-et-Labrador ont demandé au gouverneur de la Banque du Canada de cesser de hausser le taux directeur et de considérer les conséquences humaines de sa politique monétaire. Certains observateurs ont contesté ces propos et y ont vu une tentative d’ingérence politique auprès du gouverneur de la banque.

J’ai plutôt reconnu dans ces propos l’expression d’un sentiment d’insécurité économique profond ressenti par la population de ces provinces et auquel les premiers ministres provinciaux ont fait écho.

Nous souhaitons tous vivre dans un pays où nos gouvernements veillent à nous assurer une sécurité physique et économique de base. La sécurité économique seule ne fait pas le bonheur. Cependant, la vie familiale est certainement plus joyeuse et optimiste quand on peut planifier les dépenses et les revenus, et payer l’hypothèque ou le loyer sans avoir à réduire la nourriture ou les études des enfants. C’est justement l’essentiel de la motivation qui m’a animée tout au long de ma carrière : combattre l’insécurité économique et promouvoir les moyens pour y arriver. C’est ce qui m’a amenée à m’intéresser au marché du travail, au dialogue social et à la politique monétaire.

Vous demandez-vous quel est le lien entre cette anecdote et mon projet de loi? Il est bien simple : la prospérité d’un pays repose en grande partie sur la qualité de ses ressources humaines et ses ressources naturelles ainsi que sur sa capacité collective à les mettre en valeur.

Or, la politique monétaire détermine en grande partie le coût de base de l’investissement ou de la mise en valeur de nos ressources humaines et naturelles. La politique monétaire a donc un rôle majeur à jouer dans la promotion de la prospérité durable d’un pays, condition de base de la sécurité économique d’une nation. La politique monétaire est une question sérieuse et délicate et mérite une attention particulière, car le niveau de vie d’un pays en dépend largement.

Pour cette raison, on ne peut demander à une seule personne, même entourée d’une excellente équipe, d’en prendre l’entière responsabilité et d’en assumer les conséquences.

Chers collègues, dans ce qui suit, j’expliquerai d’abord en français et ensuite en anglais la nature de mon projet de loi ainsi que les grands principes qui le sous-tendent. Vous comprendrez, je l’espère, pourquoi il est important de le faire cheminer rapidement vers le comité.

Je souhaite que vous participiez à cette deuxième lecture en me posant des questions. Mon discours officiel sera relativement bref.

Quel serait l’objet de mon projet de loi en une phrase? Il vise à mieux équilibrer l’indépendance de la Banque du Canada et les nécessaires transparence et reddition de compte.

À cet effet, il modifie la Loi sur la Banque du Canada afin d’y ajouter une section sur la politique monétaire ainsi qu’un mandat et des objectifs. Ce projet de loi vise à combler un vide existentiel dans la loi actuelle, qui est complètement muette au sujet de la politique monétaire et qui n’en précise pas les objectifs.

Ce projet de loi contribue à mettre à niveau le cadre légal de la Banque du Canada à celui des autres banques centrales comparables à celle du Canada. La banque a été créée en 1935 et son préambule, qui agit à titre de mandat, n’a pas été reformulé depuis, et ce, même si la loi a été révisée en 1985. Ce projet de loi ne change pas l’esprit des objectifs énoncés dans le préambule en 1935. Il a pour effet d’exprimer le mandat de la banque d’une manière claire et avec des mots d’aujourd’hui.

Le projet de loi S-275 vise aussi à reconnaître l’indépendance institutionnelle de la banque tout en ajoutant des garde-fous et des obligations de transparence et de reddition de comptes. Il soulage ainsi le fardeau décisionnel du gouverneur. Imaginez qu’actuellement, il est le seul à décider du sort de millions de familles, et ce, avec son comité de direction, bien entendu. Mon projet de loi a également pour but de renforcer la confiance de la population dans les décisions de la banque.

(1520)

À cette fin, il crée un comité de la politique monétaire appelé « comité permanent » dans mon projet de loi. Ce comité est présidé par le gouverneur et comprend des sous-gouverneurs, mais aussi des experts externes à la banque centrale. Cette bonne pratique de gouvernance existe dans plusieurs autres pays, notamment en Nouvelle-Zélande et en Angleterre, et on pourrait même dire qu’elle existe aussi aux États-Unis. Actuellement, l’Australie considère aussi d’emprunter cette avenue.

Ce comité composé d’experts provenant d’horizons divers permet d’assurer à la population que la politique monétaire est déterminée de manière indépendante, à l’abri d’influences politiques partisanes. Ce comité aura aussi la responsabilité de superviser des analyses coûts-avantages de la stratégie monétaire adoptée ainsi que l’évaluation de la politique monétaire, parce qu’actuellement, on ne fait pas d’analyse régulière des effets de la politique monétaire. Cette analyse ou évaluation de la politique monétaire est réalisée par la banque elle-même, contrairement à ce qui se fait encore dans d’autres pays.

Le comité participera également à l’élaboration de l’entente quinquennale entre la banque et le gouvernement qui prévoit le cadre de référence de la politique monétaire. Ce comité pourra également proposer des stratégies alternatives pour contrer les effets de chocs en matière d’offres, comme l’augmentation imprévue du prix du pétrole, ou encore des intempéries climatiques qui entraînent de mauvaises récoltes.

Ce comité d’experts rassurera les Canadiens et Canadiennes sur le fait que la banque assume pleinement son rôle de vecteur de prospérité économique. Il va sans dire que la composition des membres externes du comité permanent est de la plus haute importance. C’est pourquoi le projet de loi S-275 prévoit des conditions spécifiques d’admissibilité et de compétences. Le processus de nomination devra également être ouvert et transparent et les membres devront être choisis après avoir consulté de grands acteurs de l’économie, notamment les représentants des grandes associations patronales et syndicales. Il est essentiel que ces experts, qui ne travaillent pas nécessairement au sein de ces organisations, mais qui sont reconnus par elles, soient issus d’horizons divers. On ne veut pas d’experts issus de la même école et qui n’ont pas d’expérience du terrain.

[Traduction]

Vous le savez, les Canadiens et les marchés financiers deviennent souvent nerveux lorsque vient le temps pour le gouverneur de la Banque du Canada d’annoncer le taux directeur. Ce n’est pas étonnant, compte tenu des conséquences financières pour le portefeuille des gens et de l’impact sur l’économie. En outre, la plupart des Canadiens ne savent pas vraiment comment cette décision se prend.

Techniquement, le gouverneur de la Banque du Canada est appelé à établir le taux d’intérêt directeur huit fois par année dans le cadre de sa politique monétaire. Il est appuyé par le conseil de direction de la banque, formé de sous-gouverneurs qu’il a nommés et qui travaillent pour la banque. Dans les derniers mois, un sous‑gouverneur non dirigeant externe s’est joint au conseil.

Le gouverneur et son équipe peuvent se tromper et la Loi sur la Banque du Canada n’est alors d’aucune assistance et n’offre aucune protection.

La Loi sur la Banque du Canada a été adoptée en 1935. Elle a été modifiée au fil du temps et a subi une refonte en 1985, mais les objectifs de la banque et le mandat de la politique monétaire n’ont jamais été précisés dans la loi. Il n’y a absolument rien à ce sujet dans la loi.

Le préambule de la Loi sur la Banque du Canada donne une liste d’objectifs sans ordre d’importance. Sur le site Web de la banque, on trouve un résumé du préambule, qui indique que la banque a comme mandat de « favoriser la prospérité économique et financière du Canada ». Pour arriver à cet objectif, l’article 8 de la loi donne au gouverneur les pouvoirs entiers pour agir à sa guise sans qu’il ait à rendre de comptes.

Cependant, depuis 1991, soit depuis plus de 30 ans, le cadre de politique monétaire est défini dans un accord quinquennal entre la Banque du Canada et le gouvernement, par l’entremise du ministre des Finances. Ce cadre détermine le taux d’inflation cible sans préciser de délai pour l’atteindre. Depuis 30 ans, et depuis la dernière fois qu’il a été renouvelé en décembre 2021, cet accord établit à 2 % le taux d’augmentation annuelle de l’indice global des prix à la consommation.

Bien que cet accord soit déposé au Parlement, il ne fait l’objet d’aucune approbation ni d’aucun examen de la part du Parlement. Ce document, qui n’a aucune valeur juridique car il n’est pas prévu par la loi, permet au gouverneur d’augmenter le taux d’intérêt de base si l’indice global des prix à la consommation augmente de plus de 2 %. C’est une règle simple qui s’applique à un problème complexe, qui a été créée au fil du temps, et qui n’a aucun fondement dans la Loi sur la Banque du Canada.

Honorables sénateurs, comme vous le savez, au XXIe siècle, l’inflation est devenue un problème plus complexe qu’au cours du siècle précédent. Ce n’est pas toujours un problème qui découle d’une demande excédentaire. La crise climatique, l’incertitude politique, l’inversion de la mondialisation, et les problèmes démographiques sont autant de facteurs de bouleversements des chaînes d’approvisionnement qui peuvent avoir un effet sur l’inflation. Il ne fait aucun doute que la hausse des taux d’intérêt entraîne une baisse de la demande globale. Cependant, les Canadiens n’ont pas la même certitude que la hausse des taux d’intérêt permettra de lutter contre l’inflation car, comme vous le savez, la hausse des taux d’intérêt peut avoir un effet boomerang. Lorsque la Banque du Canada augmente son taux de base, les taux hypothécaires augmentent également.

Selon Statistique Canada — et il s’agit d’une statistique très importante —, les hausses des coûts hypothécaires sont responsables de plus de 30 % de l’augmentation annuelle du coût de la vie. Ce pourcentage s’élève à 37 % pour l’augmentation du coût de la vie pour les locataires. Cela peut également avoir des effets néfastes sur des secteurs particuliers, par exemple le secteur du logement. Lorsque l’offre de logements est insuffisante et que les mises en chantier diminuent en raison de conditions hypothécaires moins abordables, les loyers augmentent. Ces deux facteurs combinés représentent environ 37 % de l’augmentation de l’indice des prix à la consommation qui peut être attribuée à la politique monétaire.

Il est difficile de prévoir les conséquences de la politique monétaire sur l’économie, car ses répercussions se font sentir avec un certain décalage. La banque peut facilement être trop sévère ou trop souple, et il est facile de pousser la politique monétaire trop loin et de précipiter une récession.

(1530)

Par conséquent, certains pays ont inclus des mesures de protection dans leurs lois. Aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande par exemple, les politiques monétaires ont un double mandat, soit la stabilité des prix et le plein emploi. Ce double mandat oblige les banques centrales à faire preuve de prudence dans la gestion de leur politique monétaire.

Certains pays ont également créé des comités de la politique monétaire. Leurs membres externes peuvent aider à évaluer les risques encourus et se pencher sur divers scénarios.

Si la perturbation des chaînes d’approvisionnement devient monnaie courante, ne faudrait-il pas que la politique monétaire tienne compte des connaissances d’experts dans ce domaine?

Ce projet de loi ajoute des mesures de protection dans la gestion de la politique monétaire en précisant le double mandat de la politique monétaire et en créant un comité de la politique monétaire appelé comité permanent. La composition de ce comité et le processus de sélection de ses membres sont de la plus haute importance. Le processus doit être ouvert et transparent. Comme je l’ai dit plus tôt, ces experts devraient être nommés à la suite d’une consultation auprès d’organismes représentant la société civile et le secteur économique, comme des associations de gens d’affaires et des organisations syndicales, afin que le comité soit mieux en mesure de parvenir à un équilibre entre la stabilité des prix et le plein emploi. Ce comité aurait la crédibilité nécessaire pour exiger des comportements responsables de la part de tous les acteurs du secteur économique.

Le comité participerait à la discussion sur la détermination du taux directeur. Quand je dis « le comité », j’entends le grand comité présidé par le gouverneur et auquel siégeraient également le sous‑gouverneur et les experts externes. Ils participeraient et voteraient sur la détermination du taux directeur, comme ils le font autre part. Les membres adopteraient le cadre de l’analyse annuelle coûts‑bénéfices à l’appui de la politique, ils superviseraient l’évaluation de l’efficacité de la politique monétaire — car nous pouvons, comme je l’ai dit, remettre en question le lien entre la hausse des taux d’intérêt et la maîtrise de l’inflation —, ils veilleraient à ce que l’utilisation d’outils non traditionnels respect le mandat de la banque, et ils participeraient à la rédaction de l’accord quinquennal avec le gouvernement du Canada.

Enfin, et surtout, je dois dire que certaines parties de ce projet de loi sont inspirées du travail effectué par un comité spécial nommé par le gouvernement australien pour revoir la Reserve Bank of Australia Act. Ce rapport s’intitule An RBA fit for the future. Il a été publié en mars 2023.

Lorsque j’ai lu ce rapport, je me suis demandé de qui provenait ce cadeau qui venait donner de la légitimité à ce que je voulais faire, c’est-à-dire proposer des modifications à la Loi sur la Banque du Canada afin de la moderniser. Or, savez-vous qui siégeait au comité qui a rédigé ce rapport? Trois experts ont travaillé ensemble à l’élaboration de ce rapport, qui a bénéficié de l’expérience d’une ancienne sous-gouverneure de la Banque du Canada. Devinez de qui il s’agit. Il s’agit de Carolyn Wilkins. C’est très intéressant. La recommandation de ce rapport m’a incitée à élaborer ce projet de loi.

Il est temps, honorables collègues, d’exiger plus de transparence à l’égard des effets à court terme et à moyen terme de la politique monétaire sur l’économie canadienne et de fournir au gouverneur et à son équipe les outils dont ils ont besoin pour atteindre leur objectif, car le principal objectif de la Banque du Canada, c’est la prospérité. Ce n’est pas de stabiliser les prix coûte que coûte.

Lorsque j’ai pris conscience de cela, je me suis dit que je devais aborder la question sous cet angle. Le gouverneur et son équipe ont le pouvoir de faire ce qu’ils veulent pour favoriser la prospérité. Il n’est dit nulle part dans la Loi sur la Banque du Canada que la stabilité des prix doit être l’unique objectif. Elle ne peut pas l’être. Voilà pourquoi j’estime qu’il est très important de réfléchir à cela et d’apporter cette modification institutionnelle à la loi afin d’établir un juste équilibre entre l’indépendance de la banque et le principe de la reddition de comptes. La création de ce comité externe, qui serait autorisé à s’exprimer à l’extérieur de la banque, rassurerait la population que la banque fait la bonne chose.

J’ai terminé mon discours. Si vous avez des questions, je serais ravie d’y répondre. Merci beaucoup.

L’honorable Yuen Pau Woo : J’accepte volontiers votre offre, sénatrice Bellemare. Je vous remercie de votre discours.

Dans quelle mesure rendriez-vous publiques les délibérations du comité de la politique monétaire qui est proposé, particulièrement les procès-verbaux des réunions et les discussions détaillées qui révèlent le point de vue des membres? Comme vous le savez, dans le système américain de réserve fédérale il y a toujours beaucoup de spéculation au sujet des différents gouverneurs et des positions qu’ils adoptent. Je ne sais pas exactement jusqu’à quel point c’est utile et si cela rend le système américain plus transparent. Que proposez-vous comme approche?

La sénatrice Bellemare : Je vous remercie de la question, monsieur le sénateur.

[Français]

Si vous me le permettez, je vais répondre en français.

Je ne suis pas certaine que le comité de la politique monétaire devrait être télévisé. Par ailleurs, il existe un rapport du comité de la politique monétaire, tout comme il en existe un en Nouvelle-Zélande. J’aime beaucoup celui de la Nouvelle-Zélande, parce qu’on y spécifie qui a dit quoi, ce qui rend plus précis le résultat du vote.

Dans l’Ouest du Canada, l’Institut C.D. Howe a créé une espèce de comité de la politique monétaire composé d’environ 12 experts, qui discutent entre eux de ce qu’ils feraient et qui tiennent un vote par la suite. Tous les noms sont associés à leurs opinions. La beauté de la chose, c’est que cela permet d’avoir une politique monétaire modérée et réservée.

Vous l’ignorez peut-être, mais, dans les années 1980, alors que les taux d’intérêt étaient très élevés, le Canada a connu l’une des politiques monétaires les plus restrictives au monde. Actuellement, compte tenu du taux d’inflation, la politique monétaire du Canada est très restrictive. Si on élimine les effets des taux hypothécaires et des loyers, on n’est pas loin de notre cible de 2,6 %.

Il fut un temps où le taux cible de l’inflation se situait entre 1 % et 3 % et avait une certaine flexibilité. Actuellement, puisque nous sommes plus sévères et que nous y sommes allés très rapidement avec la hausse des taux d’intérêt, plusieurs projets d’investissement ne se concrétisent pas. Nous n’accélérons pas notre transition vers une économie verte.

Voilà du temps qui ne se rattrape pas. La prospérité perdue ne se rattrape pas. Les investissements qui ne sont pas faits ne se rattrapent pas. C’est la raison pour laquelle les membres du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie ont constaté que le PIB du Canada par habitant n’était pas vraiment à la hausse par rapport aux autres pays.

Je sais qu’il s’agit d’un sujet difficile, mais mon projet de loi n’a aucune incidence financière, parce qu’il ne propose pas de rémunérer ces experts.

(1540)

Lorsque j’ai été nommée au Conseil économique du Canada, je n’étais pas rémunérée. J’ai fait ce travail pendant six ans. Cela demandait beaucoup de mon temps, mais j’étais très heureuse d’y siéger. Dans ce cas-là, je pense qu’il y aurait beaucoup d’experts d’horizons différents et que cela ne serait pas une foire d’empoigne... J’ai donné un peu plus tôt une entrevue à la radio où on m’a demandé : « Vous ne croyez pas que les gens vont se quereller? » J’ai répondu : « Non, il y aura des votes et il y aura un résultat dans ce cas-là. »

L’honorable Clément Gignac : Je voudrais saluer le travail de ma collègue la sénatrice Bellemare sur ce projet de loi. Je connais vos motivations pour protéger l’indépendance de la Banque du Canada et sa transparence. Vous savez que je partage vos objectifs. Je me questionne toutefois sur le moment qui a été choisi pour présenter votre projet de loi. À l’heure actuelle, tous les cinq ans, le ministère des Finances et la Banque du Canada s’assoient pour revoir le mandat de la banque. Grâce à votre intervention il y a deux ans, intervention que je salue, on a fait une petite allusion au marché du travail — pas autant que vous l’auriez souhaité, mais quand même.

La Banque du Canada agit comme un pompier à l’heure actuelle, comme le font plusieurs autres banques centrales, pour venir à bout de l’inflation, parce que les causes ne sont pas nécessairement le fait de cette dernière. Dans un contexte où les leaders politiques sont prêts à montrer la porte au gouverneur actuel, ne croyez-vous pas que le fait de lancer ce débat à ce stade-ci — alors qu’on lutte fortement contre l’inflation, qui est un cancer important qui affecte les plus démunis — et de susciter cette réflexion au lieu d’attendre trois ans risque de perturber les marchés financiers? La politique va embarquer là-dedans, et l’indépendance de la Banque du Canada, qui vous est chère, tout comme elle l’est pour moi, sera remise en question. Toute la discussion sur la Banque du Canada va devenir politique et politisée.

Dans votre projet de loi, vous nommez six membres externes. Donc, le gouverneur du Banque du Canada et ses deux collègues seront en minorité autour de la table, puisque chacun a un vote égal, et seulement le tiers des votes ira au dirigeant de la Banque du Canada par opposition aux six autres bénévoles. Qui va piloter l’avion? Qui sera responsable quant aux décisions sur les taux d’intérêt qui touchent les Canadiens?

La sénatrice Bellemare : Je vous remercie, sénateur Gignac, et je comprends votre préoccupation. En fait, vous avez posé deux questions. Je pense qu’il est trop tard pour attendre de mieux définir le cadre de la politique monétaire. Il y a trop de choses à faire. Dans cette optique, je pense que le Sénat est la meilleure institution pour entamer une réflexion rigoureuse et sage sur cette question. En analysant un projet de loi comme celui-ci, il y a beaucoup moins de risques de dérapage que si l’on posait la question dans son sens large. C’est pour cela que j’ai décidé d’arriver avec des points spécifiques à modifier dans la loi : pour empêcher les dérapages, populistes ou autres, qui pourraient se produire. L’Australie a justement créé un comité d’experts pour être en mesure de faire des changements dans un cadre rigoureux.

Quant à votre deuxième question sur le nombre de membres du comité de la politique monétaire, c’est une bonne question. Je suis ouverte aux discussions à ce sujet. C’est un début de négociation. C’est peut-être trop. Peut-être faudrait-il augmenter le nombre de sous-gouverneurs, ou garder le nombre de sous-gouverneurs tel qu’il est actuellement et avoir les six... Je me suis basée sur le modèle australien là-dessus, mais effectivement, on pourrait garder les six et ajouter les six, ou peut-être... En tout cas, la question pourrait être étudiée au comité pour voir ce que cela pourrait donner.

Je ne suis pas craintive par rapport à cette question. Au contraire, cela peut nous aider dans nos investissements à l’avenir.

L’honorable Julie Miville-Dechêne : J’ai une question pour vous, madame la sénatrice. Je ne suis pas spécialiste de la politique monétaire, mais vous avez fait plusieurs fois référence à l’exemple australien. En ce moment, on se réfère souvent à l’Australie pour toutes sortes d’exemples. Dans ce cas-ci, est-ce que le fait d’avoir un mandat que vous jugez plus équilibré entre la prospérité et la lutte contre l’inflation a eu un impact mesurable sur la politique monétaire? Par exemple, en Australie, est-ce qu’on s’attaque un peu moins à l’inflation qu’au Canada en montant les taux d’intérêt? Est-ce qu’on est capable de voir si, effectivement, ce modèle a déjà eu une influence?

La sénatrice Bellemare : Merci pour la question, sénatrice; c’est une excellente question. Malheureusement, je ne pourrais pas vous dire s’il y a eu un impact en Australie.

Par contre, ce que je peux vous dire, c’est qu’aux États-Unis, il y a eu un impact, de toute évidence. Les États-Unis ont également un double mandat, soit la stabilité des prix et le plein-emploi. D’ailleurs, Pierre Fortin a travaillé sur cette question et j’ai eu l’honneur et la possibilité de m’entretenir avec Janet Yellen, qui a été gouverneure de la Réserve fédérale juste avant d’être nommée secrétaire au Trésor par le président Biden. Elle m’a dit que cela pourrait expliquer pourquoi, dans les années 1980 et 1990, le taux de chômage était souvent beaucoup plus élevé au Canada qu’aux États-Unis.

Personnellement, j’ai étudié cette question dans un livre que j’ai publié, mais qui n’a pas été mis à jour pour ce qui est de la période des années 1980 et 1990. Il est clair que le Canada, à cause de la sévérité de sa politique monétaire, n’a pas augmenté sa productivité autant qu’il l’aurait pu, mais je n’ai pas fait de régression d’analyse de cette nature. J’ai comparé des statistiques entre pays qui avaient de doubles mandats et j’ai étudié la question de la rigueur du Canada. Pour ce qui est de l’Australie, je ne peux pas vous répondre. Merci.

L’honorable Pierrette Ringuette : Sénatrice Bellemare, merci encore d’éveiller notre imagination et de provoquer des discussions sur la Banque du Canada. Vous vous souviendrez qu’il y a quelques mois, j’ai demandé au gouverneur de la Banque du Canada, lors de son passage à notre comité, qui il consultait. Il a répondu qu’il consultait plusieurs sociétés d’État et plusieurs comités interministériels pour recueillir le maximum d’information.

Étant donné le caractère évolutif de l’économie, que ce soit à cause de la pandémie, des chaînes d’approvisionnement ou de l’environnement, est-ce que vous croyez bon que ce comité consultatif soit un comité permanent? Ne devrait-il pas être plutôt formé de membres ad hoc, afin d’aller chercher des experts là où la situation géopolitique ou économique le demande?

La sénatrice Bellemare : Merci pour la question. Je pense que ce devrait être un comité permanent avec un mandat renouvelable de trois ans pour les membres, afin de leur permettre de bien plonger dans les dossiers. Dans le projet de loi, il est prévu que les experts choisis soient capables de démontrer une compétence exceptionnelle dans deux des cinq domaines suivants : le marché du travail, la macroéconomie ouverte, les chaînes d’approvisionnement, le système financier et la gestion des risques. Ce sont des compétences importantes, mais qui sont issues d’horizons différents.

Revenons sur la transparence. Dans votre question, le gouverneur se base, comme il l’a dit, sur une statistique dont on ne connaît pas la précision, soit l’inflation fondamentale. On nous explique que c’est une mesure fabriquée au moyen de laquelle on enlève les éléments du panier qui sont les plus volatils. Au bout du compte, qu’est-ce que c’est, l’inflation fondamentale?

(1550)

Ce sont des questions qu’un comité permanent pourrait examiner pour les expliquer aux gens par la suite, et cela créerait de la confiance par rapport à ce que fait la banque.

Le sénateur Gignac : Je ne veux pas prendre trop de temps ici, et nous aurons l’occasion d’en reparler. Sénatrice Bellemare, j’aimerais revenir sur la transparence. Je vous trouve un peu sévère sur la question de la transparence à l’égard de la Banque du Canada. Je vois parfois une différence entre la gouvernance et la transparence. En ce qui concerne la gouvernance, il ne fait aucun doute que cela nous appartient à nous, législateurs, ainsi qu’au ministère des Finances, de décider du mandat de la Banque du Canada.

Sur la question de la transparence, j’ai moi-même, au cours de mes dernières décennies comme gérant d’estrade d’économiste en chef, vu l’évolution de la transparence au sein de la Banque du Canada. Maintenant, il y a des rapports sur la politique monétaire tous les trois mois, et on a même le procès-verbal, par exemple. Même le Fonds monétaire international a mentionné, en septembre dernier, que la Banque du Canada représente une référence en matière de transparence et que ses pratiques sont globalement conformes aux pratiques élargies et complètes, comme elles sont définies par le Code de transparence des banques centrales.

À part le fait que les gens autour de la table divulgueront la teneur de leur vote, qu’est-ce qui ferait que tout serait plus transparent avec son comité permanent de la politique monétaire que cela ne l’est en ce moment? Il est entendu qu’il y a déjà un rapport sur la politique monétaire tous les trois mois et qu’il y a des allocutions du gouverneur qui vient témoigner devant le Comité sénatorial permanent des banques; il fait la même chose à la Chambre des communes. Donc, à part le fait d’avoir des gens de l’externe qui vont divulguer la teneur de leur vote, un peu comme le fait la Réserve fédérale en ce moment, qu’est-ce que votre projet de loi sur la transparence de la Banque du Canada amènera de plus?

La sénatrice Bellemare : Merci beaucoup de votre question. En effet, le Fonds monétaire international a publié, ou publie, un code de transparence depuis 2020, qui est très rigoureux. Le FMI a analysé la Banque du Canada, et, dans son rapport, surtout au début, il applaudit la banque... Oui, la banque fait des efforts de communication; elle communique beaucoup avec le Canada et elle est transparente en ce qui concerne ses objectifs. Par contre, le Fonds monétaire international a admis également que la banque pourrait être plus transparente dans l’analyse des résultats de la politique et dans le suivi des indicateurs.

C’est là où j’en suis. Je pense que la politique monétaire n’est pas une relation unique entre les taux d’intérêt et l’inflation. Il y a un ensemble de possibilités et de combinaisons; il y a aussi un ensemble de stratégies qui pourraient être adoptées. Je pense qu’il serait utile, même pour la Banque du Canada, de mesurer les coûts et les avantages de ses choix, de connaître les impacts financiers pour les familles et pour les entreprises et de savoir quelles sont les conséquences de toutes ces décisions sur l’investissement et, à terme, sur la productivité.

C’est là où j’en suis. Je pense que le gouverneur et son équipe font un travail incroyable de communication; on les voit partout, ils font des conférences, ils produisent des documents. Pourtant, est-ce qu’on sait si la politique atteindra vraiment des résultats? Sur ce plan, il y a des doutes qui s’installent. J’ai moi-même des doutes, mais je ne veux pas en parler maintenant et ce n’est pas l’objet de mon projet de loi. Mon projet de loi vise à permettre au doute de s’installer et d’appeler à la prudence.

Je crois que le Canada a intérêt à faire cela. Le Canada est un grand pays, mais il doit combler des retards sur bien des plans. La politique monétaire est la condition nécessaire à la prospérité du pays. On ne peut pas jouer au yo-yo avec les taux d’intérêt, comme un individu ne peut pas jouer au yo-yo avec les médicaments qu’il prend pour contrôler sa tension artérielle. Il faut faire preuve de prudence.

Voilà donc quel serait le rôle du comité. Je me demande comment ils font, à la banque, pour réussir à dormir la veille de l’annonce du taux directeur. J’en serais incapable. Comme économiste connaissant l’impact du taux directeur dans la vie de tout le monde, je trouve que c’est une responsabilité bien trop importante pour être laissée à une seule personne, et je crois qu’avoir un comité bien balancé et bien équilibré aiderait beaucoup. Ce n’est pas une panacée, mais cela aiderait.

[Traduction]

L’honorable Tony Loffreda : Merci, sénatrice Bellemare, de votre discours et de votre projet de loi.

Dans le monde entier, l’indépendance des banques centrales suscite de plus en plus d’inquiétudes. Ne craignez-vous pas que votre proposition compromette davantage cette indépendance et brouille ainsi la distinction entre la politique budgétaire et la politique monétaire?

La sénatrice Bellemare : Je tenterai de vous répondre en anglais. Ma proposition prévoit la possibilité de coordonner les politiques budgétaires et monétaires. Que cela nous plaise ou non, la politique monétaire influe sur la politique budgétaire parce qu’elle augmente le service de la dette. Parallèlement, la politique budgétaire a également une incidence sur la politique monétaire.

Ainsi, en participant à titre d’observateur au comité de la politique monétaire, le sous-ministre des Finances pourra coordonner efficacement avec les experts du comité les politiques budgétaires et monétaires afin de juguler l’inflation tout en conservant une indépendance complète et en évitant la politique partisane. Lorsqu’on affirme que la banque doit être indépendante, de quoi la veut-on indépendante? Elle doit être indépendante des partis politiques au pouvoir de sorte qu’elle n’agisse pas de manière partisane.

On peut s’attendre à davantage d’indépendance s’il existe un comité de la politique monétaire. En effet, il renforce l’indépendance de la banque tout en multipliant les décisions stratégiques possibles. Il s’agit d’une innovation en matière d’ingénierie sociale ou économique dans un pays qui a vraiment besoin d’innovation.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Français]

La Loi concernant le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Amina Gerba propose que le projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je prends la parole à partir du territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe.

Chers collègues, c’est un privilège de m’adresser à vous en tant que marraine du projet de loi C-282, qui vise à modifier la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre).

Ce projet de loi concerne une politique arrêtée dans notre pays il y a un demi-siècle, une politique qui se déploie dans toutes nos régions et qui a bien servi les Canadiens. Cette politique est celle de la gestion de l’offre.

(1600)

Je salue le travail de Luc Thériault, député de la circonscription de Montcalm et parrain du projet de loi C-282.

J’ai consulté plusieurs personnes et beaucoup réfléchi avant d’accepter de parrainer ce projet de loi au Sénat. J’ai finalement accepté pour trois motifs.

Premièrement, il s’agit des besoins des Canadiens sur les plans de la fiabilité et de la durabilité des approvisionnements alimentaires et leur déclinaison, notamment en ce qui a trait à la santé; il est aussi question des besoins de nos agriculteurs comme producteurs de ces approvisionnements. J’y reviendrai un peu plus loin.

Deuxièmement, il s’agit de prendre en compte les effets des mutations qui transforment à tout jamais le vaste secteur de l’économie agricole. Je pense notamment aux changements climatiques, qui affectent dramatiquement la production agricole mondiale. Il s’agit aussi de prendre en compte la notion — sinon l’obligation — d’assurer la sécurité alimentaire. Cette obligation s’est récemment transformée en politique dont la plus importante est la décision de l’Inde d’interdire les exportations de riz, afin de répondre aux besoins de ses 1,4 milliard d’habitants. Je rappelle pour mémoire que l’Inde est le premier pays exportateur de riz au monde. Certes, ces politiques contredisent la notion de marché ouvert. Elles reposent sur une autre logique et sur d’autres valeurs que regroupent le concept et la réalité de la sécurité alimentaire.

Enfin, vous me permettrez de rappeler ici qu’il faut condamner tous ensemble l’usage scandaleux de produits agricoles comme armes de guerre dans la guerre actuelle déclenchée par la Russie contre l’Ukraine. Cet usage scandaleux met à mal la sécurité alimentaire déjà fragile de nombreux pays africains.

Troisièmement, ma décision de parrainer ce projet de loi a aussi été influencée par le soutien considérable qu’il a reçu à l’autre endroit en juin dernier, avec 262 voix pour et 51 contre, donc avec près de 80 % de la quasi-totalité des députés et un vote favorable des quatre chefs des formations politiques. Ce solide soutien a déjà été exprimé à quelques reprises par le passé. En effet, plusieurs motions unanimes ont appelé à la sauvegarde du système de la gestion de l’offre à l’occasion de la négociation de divers accords commerciaux.

En outre, il est important de mentionner que le projet de loi C-282 représente la seconde tentative de légiférer en la matière. En effet, en 2021, le projet de loi C-216 est mort au Feuilleton alors qu’il avait atteint l’étape de la seconde lecture et du renvoi au comité. La motion a été adoptée par 250 voix pour et 80 contre. Je profite également de cette occasion pour saluer le travail de Louis Plamondon, député de Bécancour—Nicolet—Saurel, qui était parrain de ce projet de loi à l’époque.

En préparant cette intervention, je me suis rappelé une époque, un épisode de ma vie d’entrepreneure, que je me permets de partager avec vous dans cette enceinte. En effet, il fut une époque où je travaillais étroitement avec des productrices de beurre de karité du Burkina Faso. Ces précieuses partenaires me fournissaient la matière première nécessaire pour la fabrication d’une gamme de soins corporels au Canada.

Nous collaborions de manière très transparente avec des femmes qui étaient rassemblées en une coopérative de productrices. Elles recevaient de notre entreprise un prix juste et équitable pour le fruit de leur labeur. Grâce au système de commerce équitable que nous avions instauré, elles pouvaient subvenir aisément à leurs besoins et à ceux de leur famille; elles envoyaient leurs enfants à l’école. Plus encore, elles contribuaient à l’économie locale et soutenaient le développement de leurs communautés. Cette collaboration leur a aussi permis d’acquérir de nouvelles compétences et de produire conformément à des normes de qualité très strictes. C’est ainsi que nous avons permis à ces femmes de devenir les toutes premières dans le monde à obtenir une certification biologique pour le beurre de karité; c’était une valeur ajoutée pour leur production dont le prix de vente au kilo a plus que doublé.

Dans son essence, le projet de loi C-282 souhaite préserver un système, la gestion de l’offre, qui apporte au Canada nombre d’effets bénéfiques comparables à ceux qu’ont reçus, à plus petite échelle, ces productrices du Burkina Faso.

Je reconnais et respecte les arguments de ceux et celles qui, dans cette Chambre, ont sur la question de la gestion de l’offre des convictions différentes des miennes. J’estime toutefois que la sécurité alimentaire des Canadiens constitue un objectif primordial et incontournable. Je dirais même qu’elle représente une valeur, une obligation de notre pays. En ce sens, elle n’est pas négociable. En conséquence, elle doit jouir d’une protection solide et durable.

À cet égard, nous devons examiner avec grande attention les besoins alimentaires des Canadiens et protéger ce qui doit l’être, compte tenu des écosystèmes climatiques, économiques et commerciaux actuels.

La question de la gestion de l’offre va bien au-delà des seules considérations économiques et financières, qui ont leur importance, j’en conviens, mais qui ne sauraient se substituer aux exigences de la sécurité et de la disponibilité des aliments pour les Canadiens, de la qualité sanitaire de ces aliments et de l’effet de leur production sur l’ensemble du territoire de notre pays, dans les régions rurales du pays. Cette production et cette protection contribuent notamment à l’occupation du territoire, à la viabilité et à la prospérité des communautés qui les occupent et au maintien de services privés et publics en leur sein.

De plus, la gestion de l’offre permet à notre pays, au sein des grands secteurs économiques que sont l’agriculture et l’agroalimentaire, de disposer d’éléments qui assurent sa stabilité, sa prévisibilité et un bon niveau d’investissements dans la recherche et le développement. Enfin, à cette époque de grands changements climatiques qui, malheureusement, perturbent les productions agricoles partout dans le monde, elle garantit aux Canadiens un approvisionnement assuré pour des aliments essentiels dont la qualité est vérifiée et vérifiable.

Peu connue et mal comprise, la politique de la gestion de l’offre est un dispositif se trouvant au cœur de notre appareil de production agricole depuis plus de 50 ans. Elle vise à réglementer le prix de trois produits essentiels : les œufs, y compris les œufs d’incubation, les produits laitiers et la volaille.

Ces trois secteurs régis conformément à la gestion de l’offre totalisent près de 350 000 emplois, contribuent à hauteur de 30 milliards de dollars au PIB du Canada et génèrent 7 milliards de dollars de recettes fiscales. Dans le détail, la gestion de l’offre couvre 125 000 emplois en Ontario, 115 000 au Québec, 90 000 dans les provinces de l’Ouest et 20 000 dans les provinces atlantiques. Il s’agit donc, comme je l’ai mentionné précédemment, d’un système véritablement pancanadien.

Pour remplir son rôle, le mécanisme de la gestion de l’offre s’appuie sur trois piliers. Le premier pilier est celui d’une gestion efficace des approvisionnements.

(1610)

En ce qui concerne les produits laitiers, par exemple, des recherches sur la demande des consommateurs sont régulièrement menées et donnent lieu à l’octroi de quotas de production qui sont distribués aux provinces par la Commission canadienne du lait; ces dernières se chargent ensuite de les vendre à leurs producteurs respectifs.

Le second pilier est celui de la réglementation des prix à proprement parler. Un prix plancher et un prix plafond sont définis, et les cours peuvent librement évoluer dans ce cadre.

Enfin, le troisième pilier est le contrôle des importations. En définissant des droits de douane adaptés, le système régule la quantité de produits concernés qui entrent sur notre territoire. Ce triptyque, à la fois simple et efficace, fait de la gestion de l’offre un système aux multiples bénéfices pour les Canadiens.

Le premier de ces bénéfices concerne les producteurs agricoles eux-mêmes. Avec cette politique, les producteurs bénéficient d’une rémunération pour leur travail qui est assurée, juste et équitable. La fiabilité de cette rémunération protège leurs entreprises et permet d’investir dans la recherche appliquée. De plus, elle rend possible un investissement dans les équipements actuels très coûteux, qui reposent largement sur le numérique et qui risquent de reposer demain sur l’intelligence artificielle.

Enfin, elle favorise l’investissement dans la gouvernance du domaine selon les normes du secteur privé ou du secteur coopératif.

Sans ces capacités, notre secteur agricole serait grandement menacé. Il le serait en raison de la politique agricole de l’Union européenne et de ses trois grands programmes hautement financés : le Fonds européen agricole pour le développement rural, le Fonds européen agricole de garantie et un programme de rétribution des pratiques agroenvironnementales, qui, selon une étude récente du journal Le Devoir, a bénéficié à près de 3 000 entreprises agricoles françaises en seulement deux ans d’existence.

Selon le Plan stratégique national (PSN) de la France pour la prochaine Politique agricole commune (PAC) de 2023-2027, 90 % des exploitations moyennes et grandes bénéficient d’une subvention représentant 21 % de leurs recettes, et une bonne moitié de ces exploitations auraient un rendement négatif sans ces solides appuis.

Laissé à lui-même, notre secteur agricole serait aussi menacé par la politique agricole de notre grand voisin du Sud, qui, selon les mots de l’OCDE, apporte « un soutien massif et constant aux revenus agricoles ».

Dans ces deux puissances économiques, la production agricole est protégée, hautement subventionnée et dégagée de tout risque. Est-il bien raisonnable de nous mesurer à ces deux géants par rapport à des productions de base?

J’ajouterais que notre politique de gestion de l’offre nous coûte sans doute moins cher que les politiques agricoles de notre voisin et celles des 27 pays de l’Union européenne, pour ne rien dire des politiques chinoise et indienne dans ce domaine.

Autre avantage majeur de notre politique de la gestion de l’offre, elle permet à nos producteurs de s’implanter durablement sur le territoire canadien et, comme nous l’avons rappelé précédemment, d’assurer la viabilité et la prospérité de nos régions. Celles-ci bénéficient grandement de ces viviers d’emplois qui les dynamisent et contribuent à la vitalité de l’activité économique régionale. À l’inverse, la fermeture des entreprises agricoles induit de lourdes conséquences sur les régions, en particulier celles qui sont éloignées de nos pôles urbains.

Si la gestion de l’offre venait à disparaître, on estime que 80 000 emplois seraient directement menacés. Ainsi, la bonne santé de nos fermes va de pair avec notre développement régional. Les deux sont indissociables.

La crise sanitaire de la COVID-19 nous a aussi permis de constater le fléau que constitue la délocalisation de notre production. Cette période a jeté une lumière crue sur des dépendances dont nous n’avions aucune idée. Elle a montré l’impérieuse nécessité de bâtir des chaînes d’approvisionnement locales et résilientes autour des biens communs essentiels comme la santé, l’éducation, le transport, la communication et la sécurité alimentaire.

La gestion de l’offre nous protège en soumettant nos aliments les plus essentiels à nos règles et à notre contrôle, particulièrement au contrôle sanitaire.

Par exemple, en ce qui concerne l’élevage de la volaille, le secteur a mis en œuvre un programme de salubrité alimentaire qui s’appelle « Élevé par un producteur canadien ». Ce programme est désormais obligatoire dans toutes les provinces et 100 % des producteurs canadiens de poulet sont certifiés. Par ailleurs, la gestion de l’offre nous permet non seulement d’avoir la garantie que nos produits sont de bonne qualité, mais aussi qu’ils respectent nos normes en matière d’élevage et de bien-être animal.

Plus encore, en rapprochant nos producteurs des consommateurs, la gestion de l’offre nous aide à remplir nos objectifs écologiques. En effet, le raccourcissement de nos chaînes d’approvisionnement est un moyen peu coûteux et efficace de diminuer nos émissions de gaz à effet de serre (GES).

Selon un récent rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la chaîne d’approvisionnement est en voie de devenir l’un des principaux facteurs contribuant aux émissions de GES générées par le système agroalimentaire, et ce, dans de nombreux pays. Sur les 16,5 milliards de tonnes d’émissions de GES engendrées par les systèmes agroalimentaires à l’échelle mondiale en 2019, 5,8 milliards provenaient des processus exécutés le long de la chaîne d’approvisionnement. En clair, la gestion de l’offre contribue pleinement à nos efforts en vue de lutter contre le réchauffement climatique.

En préservant les fermes au Canada, la gestion de l’offre contribue à préserver un écosystème agricole précieux, mais en profonde mutation. En effet, depuis 20 ans, notre pays a perdu l’équivalent de sept fermes par jour.

S’opérant majoritairement dans des exploitations non couvertes par la gestion de l’offre, cette transformation s’accompagne d’une concentration des terres arables dans les mains de grands conglomérats, ce qui met à mal le modèle canadien des fermes familiales. Ainsi, le nombre de fermes a diminué de 23 % au Canada entre 2001 et 2021, mais les fermes qui demeurent actives ont augmenté en superficie, passant d’une moyenne de 274 hectares en 2001 à une moyenne de 327 hectares en 2021. Ce phénomène est d’autant plus frappant si on le compare avec la situation vécue par nos voisins du Sud. Si le Canada compte encore 22 fermes produisant des œufs, les États-Unis n’en comptent plus que quelques-unes. Une seule d’entre elles serait capable de répondre à elle seule à la totalité de la demande québécoise.

C’est cette mécanique de concentration que parvient à atténuer la gestion de l’offre.

Cette diversité de fermes dans notre pays est un atout majeur. En plus d’assurer l’occupation et l’aménagement de notre territoire, comme je l’ai mentionné précédemment, elle protège l’approvisionnement canadien de nombreux aléas. Le dernier en date a été la grippe aviaire. Si la maladie a engendré des conséquences importantes aux États-Unis, particulièrement sur l’augmentation des cours, la diversité de nos fermes a, quant à elle, protégé les consommateurs canadiens.

Il apparaît donc clairement que la gestion de l’offre est un avantage pour le consommateur.

(1620)

En maintenant les prix à des niveaux équitables pour l’ensemble de la chaîne de valeur, les Canadiens ont la garantie que leur approvisionnement est protégé des pénuries. D’autre part, ce système les met à l’abri des fluctuations de prix importantes et intempestives. Les prix, dans un marché non régulé, sont, en raison de leur nature, volatils, notamment en raison des phénomènes météorologiques extrêmes qui se multiplient à cause des changements climatiques.

Enfin, grâce à la gestion de l’offre, les producteurs n’ont pas à dépendre de programmes de soutiens gouvernementaux ou de subventions pour survivre. Dès lors, on peut comparer la gestion de l’offre à une sorte de police d’assurance pour le consommateur. Elle participe non seulement à la protection du travail des agriculteurs et des éleveurs en leur assurant des revenus stables, mais elle permet aussi aux consommateurs de bénéficier d’un approvisionnement stable. C’est un partenariat gagnant-gagnant.

Comme une majorité de sénateurs dans cette enceinte, je suis, sans aucun doute, très favorable à l’économie de marché. Toutefois, je crois que nous devons tenir compte du contexte et des spécificités propres à certains domaines essentiels qui doivent être protégés et placés hors de turbulences néfastes. Pourtant, en dépit des bénéfices clairs et tangibles qu’apporte la gestion de l’offre à notre pays, celle-ci se trouve toujours menacée.

À la question à savoir pourquoi on devrait inclure cette gestion de l’offre dans une loi, je répondrai que les récents accords de libre-échange ont successivement porté préjudice à ce mécanisme. Ils les ont progressivement réduits. Qu’il s’agisse du Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), de l’Accord économique et commercial global (AECG), ou encore de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique (ACEUM), ils ont tous ébréché le système de gestion de l’offre.

Ainsi, dans le cadre de l’AECG, on a, par exemple, permis de porter le quota d’importation de fromages européens à 16 000 tonnes par an. Résultat : la situation des petits producteurs canadiens en a été grandement fragilisée. Cela a plus particulièrement engendré une baisse de leur production de fromage et, par ricochet, une baisse des ventes des producteurs de lait. Pour ce qui est de l’ACEUM, l’accord a donné un accès additionnel au marché canadien équivalent à près de 4%.

Il est vrai que les producteurs concernés ont pu recevoir des indemnités gouvernementales pour tenter de pallier ces entorses faites au système de la gestion de l’offre. Toutefois, celles-ci se sont révélées être non seulement insuffisantes, mais surtout très chères pour le contribuable canadien. Ainsi, pour amortir les pertes engendrées par l’AECG pour le seul secteur laitier, c’est 250 millions de dollars d’argent public qui ont été dépensés. Alors que le système de gestion de l’offre fonctionne très efficacement sans l’argent des contribuables, pourquoi le défaire, pour ensuite subventionner les producteurs touchés? Cela n’a pas de sens.

Chers collègues, le projet de loi C-282 vise la sauvegarde du dispositif de la gestion de l’offre. Il est d’une grande simplicité. En modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, il sanctuarise ce dispositif en l’incluant dans les responsabilités du ministre. Pour ce faire, il ajoute, à l’article 10 de la loi, la gestion de l’offre à la liste des directives dont le ministre doit tenir compte dans la conduite des affaires extérieures du Canada, notamment lors de la négociation d’accords de libre-échange. Le ministre responsable du commerce international devra alors s’abstenir de porter atteinte à la gestion de l’offre et celle-ci ne pourra plus constituer une monnaie d’échange. En étant ainsi extraite des négociations internationales, la gestion de l’offre sera préservée et pérennisée.

Certains de nos partenaires dans le monde n’ont pas su défendre l’équivalent de notre système de gestion de l’offre, et ils en paient le prix fort aujourd’hui. En Australie, par exemple, l’abandon de ce système dans les années 2000 a profondément modifié le paysage du secteur laitier de ce pays et ses fermes ont dû subir une transition à marche forcée. Les agriculteurs ont lutté fortement pour concurrencer les prix internationaux du lait et ils n’y sont pas arrivés. Les producteurs australiens recevaient un prix par litre de lait en deçà de la moyenne mondiale. En 20 ans, entre 2000 et 2020, les producteurs laitiers sont passés de 22 000 à moins de 6 000 — une véritable hécatombe. Depuis, les exportations sont toujours en baisse et les importations en hausse.

Une portion de plus en plus importante de la transformation laitière australienne se retrouve entre les mains d’entreprises étrangères. Dans l’Union européenne, la fin du cadre commun a sonné l’ère d’une gestion industrielle de la production du lait. En France, par exemple, on constate qu’il est très difficile de favoriser et d’encourager les marchés à petite échelle et les producteurs locaux. Dans la région de la Picardie, dans le nord du pays, entre 2000 et 2010, 35 % des exploitations laitières ont disparu.

Honorables sénateurs, on peut assimiler la gestion de l’offre à un bouclier. Elle protège les Canadiens des pénuries et des variations de prix brutales. Elle lutte contre le réchauffement climatique en raccourcissant les chaînes d’approvisionnement. Elle assure un revenu digne à nos producteurs de lait, d’œufs et de volaille. Elle défend nos territoires de la désertification sociale et économique et sauvegarde des dizaines de milliers d’emplois. Enfin, elle garantit des aliments sains et de qualité dans nos assiettes.

Chers collègues, nous sommes à la croisée des chemins et les questions suivantes doivent guider votre décision : de quelle manière voulons-nous traiter nos producteurs? Préférons-nous la compétitivité à tout prix ou plutôt un écosystème résilient, durable et local? De quelle manière désirons-nous nourrir les Canadiens? Comment voulons-nous traiter nos animaux d’élevage? Quelle place laisserons-nous à notre souveraineté alimentaire? Ces questions cruciales sont au cœur de notre politique de gestion de l’offre.

Lorsque j’ai amorcé ma collaboration avec les femmes du Burkina Faso dont je vous ai parlé plus tôt, j’ai immédiatement constaté le cercle vertueux qui avait été créé. Si des pays en développement ont bénéficié de cette manière de faire du commerce, des pays développés comme le Canada peuvent aussi en tirer parti. Je suis convaincue que le Canada peut se prévaloir d’un libre-échange raisonné et régulé, qui préservera sa réputation de nation commerçante et responsable, tout en maintenant intégralement sa politique de gestion de l’offre.

Pour terminer, je dois mentionner que, avant d’être présenté à la Chambre des communes, ce projet de loi a fait l’objet d’une étude juridique externe qui a confirmé qu’il ne portait pas atteinte aux privilèges de la Couronne. Par conséquent, je vous demande de voter favorablement pour renvoyer le projet de loi C-282 le plus rapidement possible en comité, pour que l’on en fasse un second examen attentif que je souhaite rapide et positif.

Je vous remercie de votre attention.

(1630)

L’honorable Clément Gignac : En premier lieu, je veux saluer l’intervention de ma collègue. Elle a fait son devoir et c’est très impressionnant. Elle a de très bons arguments. En tant que sénateur du Québec et fils de producteur laitier qui vient d’une région rurale, ma réaction est d’appuyer le projet de loi. Par contre, si je mets mon chapeau d’économiste, j’avoue éprouver un certain inconfort. Je vais sans doute vous demander de me convaincre de certains arguments au comité. Mon premier malaise porte sur le fait de menotter le gouvernement du Québec dans le cadre des négociations.

Vous dites que les contribuables canadiens ne subventionnent pas, mais en réalité, ils paient plus cher leur litre de lait et leur douzaine d’œufs qu’au sud de la frontière et ils n’ont pas été protégés par l’inflation. Le prix de la douzaine d’œufs a augmenté de 16 % en 2022 et le litre de lait a augmenté de 13 %. Le système de gestion de l’offre protège les producteurs laitiers, mais que répondez-vous aux consommateurs canadiens qui subventionnent indirectement nos producteurs, mais qui n’ont pas été protégés contre les hausses de prix l’an dernier?

La sénatrice Gerba : Merci, cher collègue, pour votre question. D’abord, je vais parler du fait que vous avez affirmé qu’on liait les mains et que l’on subventionnait indirectement.

On ne subventionne personne et les prix sont très transparents. Les prix sont fixés d’avance par les producteurs et ils sont communiqués longtemps d’avance. Ces prix n’influencent en aucun cas l’inflation et ils sont équitables, décidés d’avance et acceptés par tous les producteurs.

Comme je l’ai dit dans mon discours, il ne s’agit pas d’un système qui est unique au Canada. Des systèmes semblables existent dans tous les pays et l’OMC encourage la protection de certains domaines, qui sont des secteurs essentiels.

Donc, ma réponse à votre question est que nous ne payons pas indirectement. Nous n’offrons pas de subventions qui coûtent très cher à nos contribuables et, comme dans d’autres pays, les producteurs de lait communiquent leurs tarifs longtemps d’avance. J’espère que je réponds à votre question.

Le sénateur Gignac : Merci.

[Traduction]

L’honorable Robert Black : Je vous remercie beaucoup, chère collègue. Vous avez dit que de nombreuses exploitations agricoles appartiennent à des conglomérats. Cependant, 95 % de toutes les fermes au Canada sont considérées comme des entreprises familiales. J’aimerais des précisions à ce sujet.

Comment le gouvernement répondra-t-il aux autres secteurs qui pourraient tout d’un coup réclamer une protection commerciale similaire, notamment les secteurs sidérurgique et forestier? Comment le gouvernement répondrait-il à une telle demande?

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci de votre question, monsieur le sénateur. Pour ce qui est de la réaction d’autres secteurs, je crois que le gouvernement doit répondre au cas par cas. On ne peut pas uniquement utiliser un secteur particulier pour favoriser les autres. La priorité doit être d’aider et de combler les besoins des consommateurs, les besoins des Canadiens. Si un secteur a besoin du soutien du gouvernement, c’est ce secteur qui doit exiger du gouvernement d’être soutenu, et pas un autre secteur qui doit toujours payer pour soutenir les autres.

L’honorable Renée Dupuis : Merci pour votre présentation, sénatrice Gerba. Vous avez rapidement indiqué, à la fin de votre discours, qu’un avis juridique avait conclu que votre projet de loi ne portait pas atteinte à la prérogative de la Couronne. Pouvez-vous nous indiquer la nature de ce document? Est-ce un document public ou une étude qui a été déposée au comité de la Chambre des communes? Est-ce un document auquel les sénateurs peuvent avoir accès?

La sénatrice Gerba : Merci de votre question, madame la sénatrice. Effectivement, c’est un document public. Il s’agit d’une étude indépendante qui a été réalisée dans le cadre de la première mouture de ce projet de loi et il est public.

[Traduction]

L’honorable Jim Quinn : Je vous remercie, madame la sénatrice, de votre discours fort instructif. C’était formidable. Ma question vise à obtenir quelques précisions.

Vous avez mentionné que le Canada perd chaque jour en moyenne sept fermes. Il ne fait aucun doute que la gestion de l’offre est essentielle pour assurer la durabilité des secteurs dont vous avez parlé. Qu’en est-il des autres exploitations agricoles — y compris certaines de celles qui sont assujetties à la gestion de l’offre — qui sont en péril à cause d’autres facteurs? Comment le comité prendra-t-il cela en considération? Prévoyez-vous que cette question sera présentée au comité?

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci de votre question, monsieur le sénateur. Je veux tout d’abord préciser que je ne suis pas spécialiste de la gestion de l’offre. Mon discours tourne essentiellement autour des besoins des Canadiens et de la sécurité et de la souveraineté alimentaires des Canadiens. Donc, si d’autres secteurs doivent être protégés, je crois que le gouvernement est en droit de les mettre de l’avant. Je crois qu’il faut réfléchir surtout en se rappelant qu’il s’agit d’un projet de loi pour les Canadiens, parce qu’il concerne la sécurité alimentaire des Canadiens.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Régie interne, budgets et administration

Septième rapport du comité—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Moncion, appuyée par l’honorable sénateur Yussuff, tendant à l’adoption du septième rapport du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, intitulé Prévisions budgétaires du Sénat pour 2023-2024, présenté au Sénat le 7 février 2023.

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, je n’avais pas l’intention d’intervenir sur l’article no 31, mais je me sens obligé de prendre la parole, compte tenu de la frustration que je ressens depuis des mois et même des années en voyant la direction que prend le Sénat, et surtout le Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration. Il s’engage dans une voie où, à l’image du pays, nous dépensons des sommes exorbitantes très rapidement, souvent sans raison. De plus, je constate un changement radical de ce qui était la norme quand je suis arrivé au Sénat, c’est-à-dire rechercher le consensus et administrer le Sénat de manière non partisane, transparente, responsable et bilatérale.

(1640)

À mon humble avis, le Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration a pris la mauvaise habitude d’accepter automatiquement tout ce que l’administration propose comme dépenses. On hoche la tête et on obéit. Je vois une tendance troublante que je vais vous expliquer. Dans le budget de 2022, le montant demandé pour le Sénat est de 126,7 millions de dollars. En 2021-2022, c’était 121,8 millions. Je pense qu’on peut tous conclure que cela représente une forte hausse des dépenses, surtout quand on compare la quantité de projets de loi du gouvernement que le Sénat a eu à traiter depuis sept ans avec le nombre de projets de loi du gouvernement, le nombre de motions et le nombre de projets de loi d’initiative parlementaire qui ont été débattus et votés au Sénat pendant les sept années précédentes, sous un gouvernement différent. Surtout, si on compare le nombre d’études et de travaux en comités qui ont été réalisés entre mon arrivée au Sénat, en 2009, et 2015, c’est le jour et la nuit.

Permettez-moi toutefois de vous dire que si on regarde le bilan depuis mars 2016 — et c’est en mars 2016 que le gouvernement Trudeau a nommé le premier sénateur indépendant —, nous avons évidemment vu l’expansion qu’a prise ce groupe de sénateurs et la façon dont cette expérience évolue. Nous avons tous essayé de faire en sorte que cela fonctionne dans des circonstances difficiles.

En mars 2016, le budget de fonctionnement du Sénat du Canada était de 74,6 millions de dollars. En très peu de temps, il est passé de 74,6 millions de dollars à 126,7 millions de dollars. La question que je pose est la suivante : il n’y a rien de mal à ce que les dépenses et les investissements d’une organisation augmentent de 40 %, mais il faut aussi un rendement sur l’investissement. Franchement, je crains que ce rendement ne soit inexistant. C’est pourquoi l’opposition officielle — même si l’expression « opposition officielle » pose problème à certains, le Sénat a une opposition officielle et, Dieu merci, notre rôle consiste à exiger des comptes du gouvernement — demande depuis des années au gouvernement et à la majorité des personnes nommées par le gouvernement de prendre des mesures pour maîtriser ces dépenses et faire preuve de responsabilité et de transparence.

Outre le bilan du gouvernement, nous sommes également préoccupés par le fait que nous avons délaissé la recherche de consensus entre le gouvernement et l’opposition pour la tenue d’un nombre toujours croissant de votes sur différents sujets chaque fois qu’il y a désaccord entre les membres du comité. On peut observer cette tendance notamment au sein du Comité sénatorial permanent de la régie interne depuis les cinq ou six dernières années. Auparavant, si nous remontons par exemple en 2015 et au-delà, il n’y avait pas autant d’échanges acrimonieux. Lorsque j’étais président du comité, du moins, on cherchait toujours à atteindre le consensus. Ainsi, même si le comité directeur était surtout constitué du parti au pouvoir ou que la majorité du Comité de la régie interne lui était acquise, si la vice-présidence qui faisait partie de l’opposition n’était pas d’accord sur un point, on ne procédait pas aux modifications ou aux dépenses en question. Dans un souci de coopération, de responsabilisation et de transparence, il faudrait revenir à cette façon de procéder.

Une autre préoccupation de l’opposition officielle, et nous en parlons au Comité de la régie interne depuis plusieurs années, c’est que l’Administration semble prendre le contrôle du comité. Ce dernier a en effet le réflexe d’acquiescer aux propositions présentées par la Direction des services d’information, les finances ou divers secteurs administratifs du Sénat au lieu que les sénateurs soient les instigateurs de certaines de ces modifications et décisions.

Il n’appartient pas aux directeurs de départements de s’adresser au Comité de la régie interne pour lui dire essentiellement : « Nous pensons que c’est la meilleure solution pour le Sénat », puis que le comité accepte. Il fut un temps où ces décisions étaient prises par les sénateurs, pour les sénateurs et pour cette institution, et, bien franchement, un certain nombre d’entre nous qui sont là depuis longtemps ont l’impression que ces questions importantes ne font pas l’objet de consultations et ne sont pas portées à l’attention des leaders de nos groupes respectifs avant que des décisions soient prises.

J’ai un bon exemple. Notre institution parlementaire a subi une cyberattaque très importante, qui a été menée ces derniers jours contre la Chambre des communes et cette institution qu’on appelle le Sénat. Nos serveurs ont été attaqués par la Russie. Ils ont été attaqués du côté de la Chambre et du Sénat. Combien d’entre vous êtes au courant de cette attaque? Savez-vous pourquoi vous n’êtes pas au courant? C’est parce que vous ne semblez pas être des intervenants importants de cette institution. La Direction des services de l’information, elle, est au courant. L’Administration est au courant. J’espère que, à tout le moins, le Comité de la régie interne est au courant.

Je tiens à souligner que lorsque cela s’est produit du côté de la Chambre, les députés en ont été informés immédiatement, comme le veut la pratique normale d’une institution qui se gouverne elle‑même comme c’est le cas du Parlement. En fait, le département responsable de l’administration interne, les dirigeants, les leaders à la Chambre et les députés ont tous été informés immédiatement. Il s’agit d’une façon de faire normale pour un Parlement indépendant qui contrôle son propre destin. Au final, c’est du Sénat que le Comité de la régie interne reçoit le pouvoir administratif lié à notre institution. Il a des comptes à rendre au Sénat. Les administrateurs qui gèrent le Sénat le font à la lumière des directives du Comité de la régie interne, lesquelles doivent aussi être approuvées et autorisées par notre institution. C’est ainsi que fonctionne un Parlement légitime.

Bref, chers collègues, bon nombre d’entre vous se demandent peut-être pourquoi le poste 31 et le budget de 2023-2024 n’ont pas été approuvés. L’opposition officielle n’en a pas encore parlé parce que nous avons certaines préoccupations qu’il faudrait, selon nous, régler.

Excusez mes soupçons, mais ce manque de transparence et de responsabilité n’est pas surprenant en présence d’un gouvernement comme le gouvernement actuel. Chaque fois qu’il se trouve aux prises avec un scandale, il blâme tout le monde sauf lui-même. Il n’assume jamais ses responsabilités. Ces derniers jours, nous l’avons vu avec ce qui s’est passé à l’autre endroit. Il s’agit là d’une tache importante et d’une insulte à la mémoire de tous les Canadiens qui ont combattu pendant la Deuxième Guerre mondiale. Cet événement est inexcusable et inacceptable. Plutôt que le Bureau du protocole du Cabinet du premier ministre et le gouvernement en assument l’entière responsabilité, le premier ministre se sert du Président comme bouc émissaire. Il se cache depuis quelques jours. Au moins, dans cette enceinte, il y a un représentant du gouvernement qui ne se cache pas. Il est ici régulièrement, il écoute nos questions. Cela dit, malheureusement, nous, de l’opposition, sommes tout aussi frustrés. Il semble que nous n’obtenions jamais de réponses. Nous n’obtenons pas plus de réponses de sa part et de la part du gouvernement que de la part du Bureau de la régie interne sur ces questions importantes.

Prenez le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, par exemple. Au milieu des cyberattaques et de l’ingérence étrangère que personne ne nie — à propos desquelles nous devons prendre des mesures immédiates —, le gouvernement manque à l’appel. Il y a un processus lié au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement...

Recours au Règlement

L’honorable Yuen Pau Woo : Honorables sénateurs, j’invoque le Règlement. Je ne vois pas la pertinence de ces points dans le débat en cours. Je demande à l’honorable sénateur de revenir à la question qui nous occupe et de continuer de nous instruire au sujet de l’« âge d’or » dont il parle si éloquemment.

L’honorable Leo Housakos : Je vous remercie, madame la Présidente. Il est très important de souligner que le gouvernement et le premier ministre ont tendance à ne pas répondre aux questions de façon transparente et responsable. Le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement est l’un des éléments pertinents quand on examine l’ingérence étrangère, sénateur Woo.

Le sénateur Woo : Notre débat porte sur le budget du Sénat et non sur la façon dont le gouvernement gère le Sénat. Le gouvernement n’a rien à voir avec la gestion de notre institution ou celle du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, et l’honorable sénateur abuse de son privilège en parlant de questions non pertinentes.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Housakos, j’écoute, tout comme les autres personnes présentes dans cette enceinte, le recours au Règlement du sénateur Woo. Vous pourrez ensuite vous exprimer sur le rappel au Règlement et nous faire part de votre point de vue.

Le sénateur Woo : J’ai fait valoir que le sénateur Housakos parle de sujets qui n’ont rien à voir avec la question qui nous occupe. Le gouvernement, qu’il a le droit de critiquer, ne joue aucun rôle dans l’établissement de notre budget. Il ne joue aucun rôle dans la direction du Comité de la régie interne. Les arguments qu’il a soulevés conviendraient peut-être à une autre tribune et pour s’adresser aux groupes qu’il souhaite interpeller, mais ils ne conviennent pas à cette enceinte et ils ne correspondent pas au type de discussion que nous devrions avoir, soit une discussion légitime sur le sujet qui nous occupe, à savoir le budget du Sénat.

Le sénateur Housakos : Madame la Présidente, comme vous le savez, au final, quand on invoque le Règlement au beau milieu d’un débat, il faut que ce soit légitime. Or, le sénateur saute sur l’occasion pour mettre un terme au débat. Dans son recours au Règlement, le sénateur n’a pas du tout fait allusion aux procédures qui encadrent les interventions sur la question à l’étude lors d’un débat. Dans le cas qui nous occupe, il est question du budget et de la méthodologie employée par le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration.

(1650)

Je remets en question les pratiques de la majorité dans cette enceinte et au comité en ce qui a trait à la reddition de comptes et à la transparence. Le sénateur invoque le Règlement non pas pour des motifs relatifs à la procédure, mais parce qu’il n’aime pas la teneur du débat. Par conséquent, Votre Honneur, je crois qu’il serait justifié de me laisser poursuivre mon intervention dans le débat sur cette question en particulier.

Décision de la présidence

Son Honneur la Présidente intérimaire : Est-ce qu’un autre sénateur souhaite faire des observations au sujet de ce recours au Règlement?

J’ai entendu les arguments concernant le rappel au Règlement. Si nous avons un Feuilleton, c’est justement parce que nous avons besoin de discuter des sujets dans un certain ordre pour que nos débats soient efficaces. Nous débattons actuellement d’une motion de la sénatrice Moncion, appuyée par le sénateur Yussuff, tendant à l’adoption du septième rapport du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, intitulé Prévisions budgétaires du Sénat pour 2023-2024, présenté au Sénat le 7 février 2023.

Sénateur Housakos, veuillez vous en tenir à ce sujet.

Le sénateur Housakos propose :

Que la séance soit maintenant levée.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, l’honorable sénateur Housakos, avec l’appui de l’honorable sénatrice Martin, propose que le Sénat s’ajourne maintenant.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Non.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente intérimaire : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente intérimaire : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie? Le vote aura lieu à 17 h 52.

Convoquez les sénateurs.

(1750)

La motion, mise aux voix, est adoptée :

POUR
Les honorables sénateurs

Ataullahjan Loffreda
Audette MacAdam
Batters MacDonald
Bellemare Manning
Boehm Marshall
Boisvenu Martin
Boniface Massicotte
Busson McPhedran
Carignan Mégie
Cordy Miville-Dechêne
Cormier Mockler
Cotter Moodie
Coyle Oh
Dagenais Osler
Dasko Patterson (Ontario)
Deacon (Ontario) Petitclerc
Dean Petten
Downe Plett
Duncan Poirier
Dupuis Prosper
Francis Quinn
Gerba Ravalia
Gold Ringuette
Greene Seidman
Greenwood Simons
Harder Verner
Hartling Wells
Housakos White
Klyne Woo
Kutcher Yussuff—61
LaBoucane-Benson

CONTRE
Les honorables sénateurs

Forest Pate—3
Omidvar

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs
Aucun

(À 17 h 59, conformément à l’ordre adopté par le Sénat plus tôt aujourd’hui, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

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